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lundi, 06 décembre 2010 11:00

Passions : du combat à la joie

Écrit par

Jollien 42933Alexandre Jollien, Le Philosophe nu, Seuil, Paris 2010, 198 p.

Un philosophe se doit d'apporter des solutions rationnelles aux grandes questions de la vie. Cela ne lui pose pas de problème aussi longtemps qu'il s'agit de disserter et d'enseigner les autres. Mais le voilà à la torture dès qu'il tourne son regard sur lui-même. L'image idéale de soi, défigurée par des quintes de jalousie et de colère, vole en éclats, et le recours à la pure rationalité s'avère impuissant à l'affranchir de la tyrannie de ses passions. Une lutte s'engage.

Ce livre est la chronique d'un combat singulier, un journal tenu régulièrement où échecs et victoires, maux et remèdes, sont discutés sans concession. D'une écriture très alerte, et avec une bonne dose d'humour, il retrace le parcours d'un combattant.

Déconcertant de sincérité, Alexandre Jollien se met à nu. La vue des corps beaux et souples des jeunes hommes agit sur lui comme un leurre qui séduit, mais énerve et fatigue celui qui habite mal son corps handicapé. Chaque rencontre réveille une colère récurrente contre sa propre condition et exaspère l'aspiration à une normalité qui n'existe que dans l'imaginaire.

Pour exorciser ses passions, le philosophe se tourne vers ses confrères, Epictète, Platon, Epicure, Sénèque, Spinoza, Nietzsche? prodigues en conseils judicieux, mais impuissants face au débordement passionnel. Dans cette lutte, la raison et la volonté semblent vouées à l'échec. Et pourtant ! Entre le refus des pulsions et la soumission à leur diktat, un chemin de libération est possible : l'adhésion au réel, à l'instant présent, l'acceptation simple et concrète de son être et de ses circonstances, au mépris du personnage idéal entretenu par le désir passionnel. Laborieuse découverte du philosophe qui finit par comprendre qu'une passion ne se déracine pas, qu'elle ne peut qu'être réorientée et mise au service d'autrui.

Il y a là grande joie. Si l'idéal épuise et tue, la joie fait vivre, parce qu'elle est capable d'accepter l'imperfection. Le regard innocent de ses enfants va aider le philosophe à rectifier le sien et à échapper au piège des comparaisons traumatisantes. Le zen lui ouvre le chemin de la profondeur, du « fond du fond », là où sourd la source de la vraie joie. A partir de ce lieu unique, qui relève plus de la découverte que de la conquête, tout peut se recréer. Une ascèse faite de petits exercices hérités de la tradition ignacienne l'aide à travailler sur soi et à se mettre au service des autres. La méditation, l'examen de conscience le recentrent sur sa réalité.

Nu et désarmé, le philosophe a rencontré le vrai soi ; réconcilié avec l'existence, il est désormais capable de rire de ses colères. Alors peut éclater le cri de la liberté et de la joie : « Ce sont mes fragilités qui sont la source de ma fécondité. » Le voilà devenu un sage. A le suivre dans son combat, le lecteur découvre, lui aussi, un chemin de sagesse.

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