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jeudi, 06 décembre 2012 14:35

Eté 39

Buenzod 43867Emmanuel Buenzod, Eté 39, Paris, L’Aire bleue 2011, 128 p.

Ce livre a été publié une première fois en 1939 par la Baconnière et offert en 2011 en nouvelle édition. Des pages écrites, nous dit l’auteur, en grand désordre de l’esprit et du cœur, dans un petit chalet rustique de montagne, durant les vacances d’été, selon un rituel établi depuis des années.

Emmanuel Buenzod, éminent journaliste culturel, amateur de grande musi­que, pratiquant le violon et enseignant le français et le latin dans un collège vaudois, s’est isolé une nouvelle fois dans des paysages de montagne qui le touchent profondément. Il ressent cet été 39 un malaise sourd et angoissant... Les temps sont incertains, avec des nuages noirs à l’horizon. Devant trois petites fenêtres qui ouvrent sur la vallée, il s’assied chaque matin pour écrire.

Il se souvient de son enfance et constate que ceux qui aujourd’hui mènent le monde méprisent l’homme, faisant passer l’idéologie sur le plan pratique et l’entraînant ainsi dans un engrenage néfaste. Son enfance... « Le monde était blanc, recueilli, vêtu de pur si­len­ce. (...) Alors qu’aujourd’hui le travail est devenu un maître trop puissant, réclamant trop de nous, même aux heures où nous cessons de lui appartenir. » On se croirait au XXIe siècle ! Il se souvient de bonheurs imprévisibles, inattendus, échappant à l’attention des autres, tel cet allegro d’une sonate de Haydn s’envolant d’une fenêtre ou­ver­te.

Dans ce village de montagne, il croise des gens qui ne se plaignent pas, qui se livrent peu. Il admire éperdument les aurores et les soleils couchants. « Les beaux soirs purifient et offrent à l’homme l’occasion de la glorification. »

Pendant que celui qui est resté à la ville ouvre son journal et embrasse d’un coup d’œil la page des dépêches, là-haut, on vit sans trop savoir, en un con­tact avec la nature jamais rompu.

« Il y a comme un divorce entre ceux qu’il faut bien nommer les derniers primitifs et les enrégimentés de l’esprit mo­derne. » Et de poursuivre : « Le mon­de est plein d’une déroute de vaincus dont il est juste de dire qu’ils ne sont pas entièrement responsables de leur dé­faite car le monde enchaîne, as­treint, rive l’homme à l’obligation de ga­gner son pain et ne lui laisse aucune chance d’exister en dehors de cette tâche. »

Dans ce constat morose, triste et prémonitoire, il en appelle à la musique qui n’a que sept notes à sa disposition mais qui, grâce à elles, a su tenir tant de choses, peindre tant de scènes, décrire tant de passions, tant de rêves messagers de l’infini. Il en appelle aussi aux solitudes qui, selon lui, sont une chan­ce que le monde a encore d’échapper à la déchéance.

Avant de quitter son refuge, il croise le facteur qui lui remet un journal sur lequel il lit : Un pacte germano-russe. Le livre se termine ainsi.

Des pages qui se lisent lentement, très lentement, tant l’écriture est belle et tant sont profondes les réflexions qui nous sont offertes.

 

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