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mercredi, 30 janvier 2013 15:28

Dialogue interreligieux

Waldenfels 44466Waldenfels Hans, Jésus-Christ et les religions. Points de repères pour le dialogue interreligieux dans une perspective chrétienne, Paris, Salvator 2011, 170 p.

Voici un livre qui devrait devenir un incontournable dans la bibliothèque de tout féru de dialogue interreligieux ! L’auteur, un Allemand enseignant à Bonn, est spécialiste de la nouvelle théologie des religions (post-Vatican II !), branche de la théologie fondamentale. Ce livre est préfacé par un co-national jésuite, Christoph Theobald, ce qui lui donne un cadre un peu ignatien, à mon avis l’un des plus adaptés pour aborder le thème repris dans le titre : le christianisme et les autres religions.

L’accroche de l’ouvrage est la déclaration controversée Dominus Iesus de 2000, et tout particulièrement sa première partie, quasi occultée lors du débat d’alors, et par les médias et par les théologiens eux-mêmes. L’auteur lance le défi d’y puiser substance pour sa cogitation et son parcours livresque. Pari réussi.

Depuis Nostra Aetate, et plus généralement l’option du concile Vatican II dont le mot structurant pourrait être dialogue, maints ouvrages sont issus de théologiens d’un peu partout. Le magistère catholique s’est enrichi des Hans Küng, Yves Congar, Edward Schillebeeckx, Walter Kasper, Aloysius Pieris, Jon Sobrino et même de Joseph Ratzinger. Sous la plume de l’auteur, on les retrouve tous cités à bon escient. Hans Waldenfels rappelle leurs contributions réciproques à la réflexion globale du lien et de la place de Jésus-Christ face à Bouddha, Mahomet, Moïse ou Bahaullah.

Cinq chapitres clairement traduits, au vocabulaire lisible malgré la spécificité du sujet abordé. Un glossaire des expressions phares de l’ouvrage et de la branche clôt le livre, ainsi qu’un choix (à mon sens trop restreint et donc un peu inutile) de textes fondamentaux des religions abordées, et un résumé explicite des mots-clés théologie des religions. Synthèse bienheureuse pour qui l’ignorerait ou hésiterait à aborder le thème.

Ouvrir la perspective

L’auteur commence par recentrer la problématique sur la personne de Jésus-Christ, en décrivant le sens du mot religion, « reliant » ou aussi « chemin », voire « rencontre ». Sa connaissance des religions d'Extrême-Orient lui permet d’élargir l’œil et l’esprit européen, trop concentré peut-être sur la réalité plurireligieuse de la Méditerranée (judaïsme, christianisme, islam). On y apprend comment la personne de Jésus-Christ est reçue dans l’hindouisme et le bouddhisme notamment. Sans étaler les arabesques théologiques appropriées à un tel travail, Hans Waldenfels sélectionne ce qui peut faire écho à une oreille occidentale entre religions et Jésus-Christ. Une bonne assise pour le reste de son livre.

Au chapitre 2, c’est une éclairante mise en perspective des termes de religion, religions et religiosité qui continue le déroulement de sa réflexion. Le nœud du chapitre me semble être la question, bien christique et chrétienne : quel accueil fait-on à l’étrange, à l’étranger ? Et de rappeler l’indispensable travail œcuménique - intra-chrétien ! - qui doit sous-tendre l’interreligieux pour lui garantir une vraie pertinence. Lorsque l’identité chrétienne une et plurielle (catholique, protestante, orthodoxe…) sera clarifiée entre les Eglises de façon unanime, le dialogue du christianisme avec les autres religions en bénéficiera intelligemment. Et durablement.

Pour les amateurs d’arcane ecclésiologique, le chapitre 3 en offre une surprenante : relire la christologie de Chalcédoine, ce concile qui détermina le rapport de la nature divine et humaine en Christ. Il s’agit aussi d’en faire une évaluation, d’en montrer l’aspect local et historique - donc limité et culturel - et d’en conclure justement : le salut est effectif depuis 2000 ans et pour tout le monde ! Loin du syncrétisme tant décrié par d’aucuns, c’est du réalisme pur, qui est en même temps un vrai martyre : Christ est ressuscité pour tous et a sauvé le monde entier. « Reste » à articuler la pluralité religieuse de ce monde autour du kérygme[1] ! Et il demeure nécessaire d’expliciter ce salut universel, même s'il est un fait.

Universalité de fait

Au chapitre 4, l’auteur choisit de lister et de réfléchir sur des éléments de la vie concrète de la personne humaine : l’homme est histoire, personnelle et communautaire, histoire où se mêlent souffrance et quête de sens. En cela, il y a déjà une vraie universalité, qui doit être le tremplin commun pour le dialogue entre les humains, entre les croyants et immanquablement entre les religions.

Le dernier et cinquième chapitre revient sur le mot dialogue, véritable clé de voûte et du concile Vatican II et d’une certaine vision d’Eglise contemporaine. Le dialogue demande de prendre en compte les questions de traduction et de vision de l’humain selon les diverses cultures, à partir desquelles parlent et vivent les personnes.

Et de conclure dynamiquement par trois verbes, pour étoffer (et relire) toute démarche interreligieuse : chercher, témoigner et espérer. Chercher à rencontrer l’autre dans sa vérité ; témoigner de sa propre vérité ; espérer, au sens fort du terme, que l’accueil de l’autre, de son humanité et de sa réalité devienne le ferment d’une unité plurielle.

Une bibliographie par thèmes (christianisme et islam, Asie…) ferme cet ouvrage instructif, stimulant, bien écrit, sincère et dont l’auteur lui-même, dans d’ultimes Remerciements, souhaite qu’il ait un impact sur son lecteur ! Modestie bien placée. Sous la forme du dialogue, en somme.

 

1 • Première annonce de l'Evangile par les apôtres. (n.d.l.r)

 

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