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lundi, 22 décembre 2014 01:00

Indicible

Cornu 44702Michel Cornu, Aux portes de l'indicible. Incarnation et musique, Lausanne, L'Age d'homme 2013, 320 p.

L'auteur constate que nous assistons à la perte d'une transmission qui permettait jusqu'ici de trouver place dans l'Histoire et le présent. Nous sommes en décadence, et la crise économique n'est que l'effet de celles morale, spirituelle et existentielle. Pour la première fois, la destruction totale de l'humanité par elle-même est devenue possible.
Comment en est-on arrivé à cet homme post-moderne, qui se donne à soi-même et par soi-même la loi ? L'incarnation a-t-elle encore quelque chose à nous dire et à nous donner à vivre ? C'est de cette question que le philosophe va partir, pour revisiter les écrits des évangélistes en recourant à la musique comme guide pour parler de l'existant incarné.
Ses notes sont impressionnantes : 520 ! Et dans sa bibliographie figurent de très nombreux auteurs. C'est donc un livre que l'on découvre et déguste lentement, pour laisser les mots, les images, les symboles, la musique aussi - cette musique qui agit gratuitement et transporte qui l'écoute - nous envelopper. Un long et beau voyage.
Toutes les religions connaissent une présence du divin en l'homme. Mais que celui que nous nommons Dieu se fasse homme est pur scandale, car la médiation n'est plus donnée par une loi, un texte, un Dieu Très-Haut : c'est l'homme lui-même qui devient cette médiation ... l'icône de Dieu.
La résurrection au quotidien est nouvelle naissance, et nous n'en finissons pas de naître si nous sommes vivants. L'Evangile est affirmation de la vie et appel à un réveil d'humanité. Et cet éveil, c'est le courage d'exister, le refus de se résigner et de se laisser engloutir par la tristesse. Si l'éthique obéit à une injonction, le don ne le fait pas. Il est absolument libre.
Au delà des certitudes en miettes, une question : « Suis-je aimé ? » Et de citer Kierkegaard, ce philosophe danois qu'il admire :[1] « La foi est à chaque fois une rencontre privée entre l'existant et son Dieu. » Courageusement, l'auteur s'interroge sur ce qui menace l'existant aujourd'hui, et son interrogation est inquiète... Est-il en passe, cet existant, de devenir une abstraction, avec perte de la personne incarnée et oubli de la Parole qui nous relie ?
Avant d'aborder la musique, Michel Cornu se demande si seuls les interprètes et les musicologues peuvent en parer. Peu de philosophes ont osé le faire... peut-être parce qu'ils redoutent ce qu'on ne peut fixer, déterminer ou encadrer. Lui le fait, en touchant à une des qualités fondamentales de la musique : n'exister que dans la relation, qui est rencontre dans le respect de l'altérité. Car si la philosophie s'arrête là où le dicible trouve sa limite, la musique, elle, ouvre à une autre dimension. Et de nous entraîner à sa suite dans les sillons de Bach, Schubert, Schuman et Brahms.
Un beau voyage ! Un livre passionnant mais ardu, qui offre mille découvertes.
Marie-Luce Dayer

[1] • En 1972, Michel Cornu a publié une thèse de doctorat remarquée : Kierkegaard et la communication de l'existence. (n.d.l.r.)

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