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jeudi, 27 septembre 2018 09:30

Une bête à corne pour sauver Dürer

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GandaCela se passe en 1515, année de la bataille préférée des collégiens et seule date dont ils se souviennent à coup sûr: Marignan! Sauf que cette date n’a pas été le théâtre du seul affrontement entre le roi de France (et ses alliés vénitiens) et les mercenaires suisses qui défendent le duché de Milan. Elle a aussi marqué la cour du roi du Portugal, et de manière plus épique encore… Une année faste pour le règne animal. Enfin, au début.

Eugène
Ganda
Genève, Slatkine 2018, 176 p.

Du neuf qui nous vient du passé
Pour sa rentrée littéraire, Eugène s’offre donc un pachyderme: Ganda. L’écrivain, chroniqueur de la revue choisir, conte l’histoire d’un cadeau ubuesque fait par Alphonse d'Albuquerque, dit A de A, explorateur devenu gouverneur des Indes portugaises entre 1509 et 1515, à son roi Manuel 1er. Un pan de l’histoire qu’il aurait été dommage d’ignorer plus longtemps, le ton goguenard de l’érudit Eugène ajoutant au génie de ce récit rocambolesque. Goguenard et tendre face à des personnages pour qui il semble avoir développé une certaine affection.

À commencer par Ossem, un Indien de la caste des intouchables au service de A de A, à qui il prédit l’avenir à partir de ses rêves, et qui accompagnera Ganda dans un périple maritime des Indes vers son ultime demeure: la Méditerranée.

Ganda, parlons de lui, est un rhinocéros placide qui passera du statut de licorne à celui de roi des animaux pour satisfaire les besoins de gloire de ses propriétaires successifs. Il faut dire qu’en ces temps-là, on garnissait sa ménagerie en signe de puissance. Né pour brouter, Ganda sortira vainqueur d’un combat de titans avant de… mais n’en dévoilons pas trop. N’oublions pas, dans cette galerie de personnalités hautes en couleurs, Hildegarde, amante d’Ossem et solide teutonne qui partagera la vie européenne du chétif cornac (guide et traditionnellement soigneur d’éléphants), faisant d’elle la première femme d’Indien du continent; ni Manuel 1er, roi du Portugal qui voulait se faire plus gros que tous les rois d’Europe en indexant le monde entier; ni Christophe Colomb, explorateur espagnol qui en prend pour son grade, «têtu comme une bourrique basque… un abruti accompli qui s’est mis à chercher l’empereur du Japon à Cuba… », l’un de ces navigateurs ethnocentriques qui offre en cadeau des pots de chambre là où l’empereur de Chine, débarqué bien avant, dépose aux pieds de ses hôtes de la soierie et des épices précieuses; ni encore le célèbre peintre et graveur Albrecht Dürer, dont Ganda permettra de redorer le blason d’artiste. Que les autres protagonistes de cette mémorable épopée m’excusent de ne point les citer, à commencer par le pape Léon X dont on n’apercevra que ses gardes suisses.

Sous un air potache, cette histoire dépeint la folie des humains qui font du règne animal leur chose par plaisir d’assouvir un besoin de puissance et de reconnaissance maladive, quitte à en devenir ridicule et à courir à leur perte. Une lecture jouissive, et pas méchante pour un sous, dont on aurait tort de ce priver. De l’avis même de l’auteur, «cette histoire méritait d’être racontée». Elle mérite d’être lue!

A lire également pour les abonnés dans la revue choisir n°689 d'octobre-novembre-décembre 2018, la chronique  d'Eugène : Un coach pour arrêter les coachs.

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