Si jusque-là on se croyait en pleine reality fiction, l’atmosphère change du tout au tout. On plonge dans une saga familiale qui, alors qu’elle conte l’enfance -longuement- puis l’âge adulte -succinctement- avant d’arriver au jour clé où la vie du père de l’auteure aurait pu basculer, a le goût et les couleurs de la littérature jeunesse. Et c’est un compliment. Si la littérature destinée aux jeunes lecteurs habiles est souvent décriée, c’est à tort tant elle sait nous faire entrer dans un tourbillon d’émotions et nous renvoyer avec force à notre propre enfance haïe ou chérie, rarement neutre, toujours (un peu) fantasmée.
Le cœur de Premier Sang débute avec la naissance de Patrick Nothomb, la mort de son père André et la fuite émotionnelle de sa mère, Claude, qui laisse l’éducation de son fils à ses parents. Ravie de reprendre ce rôle qu’elle pensait à jamais révolu, Bonne-Maman, la grand-mère de Patrick, le couvre d’attention. Quant à Bon-Papa, en général pragmatique, il trouve la mort de son gendre tout à fait acceptable: le père de Patrick a été tué dans un accident de déminage.
Pour l’ancien général, son petit-fils doit s’endurcir avant son entrée à l’école. Pour cela, il l’envoie chez les Nothomb, la famille fantasque de feu son gendre. Le père de Patrick était le premier né d’une tribu de treize enfants, une tribu au passé « noble » et au présent désargenté. Le métier de Grand-Père Nothomb, avocat-poète, lui permet davantage de rêver son présent que de subvenir à celui de ses enfants affamés dont le dernier, soit dit en passant, à l’âge de son premier petit-fils.
Compliqué ? Sans doute, mais très jouissif au niveau narratif. Le décor posé, s’en suivent des pages savoureuses décrivant les interactions entre enfants et adultes des plus farfelues. Une chose est sûre: pour trouver son chemin dans ce bazar familial, il fallait faire preuve d’une certaine désinvolture, de beaucoup de diplomatie et d’une furieuse envie de se sentir vivant.
Devenu adulte, Patrick se retrouve donc diplomate. Le récit bascule alors à nouveau dans la reality fiction ou le thriller, c’est selon. On se retrouve au Congo, en pleine prise d’otages dans laquelle le consul Nothomb joue le rôle central. Il ressortira vivant du bain de sang qui marqua la libération des otages par les parachutistes de l’armée belge. Sans cela, ce livre n’aurait jamais pu être écrit.
Être son père, l’espace d’un roman, c’est ce qu’a voulu Amélie Nothomb, en guise d’adieu à celui-ci décédé en 2020 et dont elle n’a pu, confinée à Paris, assister aux obsèques. Un bien bel hommage.
Amélie Nothomb
Premier Sang
Paris, Albin Michel 2021, 180 p.
Amélie Nothomb récompensée:
Pour «Premier sang» (ed. Albin Michel), l'écrivaine belge a reçu, le 3 novembre 2021 dernier, le prix Renaudot. Un prix annoncé, comme de tradition, quelques secondes après le Goncourt.