Chaque récit commence par une citation de la Règle, qu’il illustre comme un peintre en décrivant son vécu gouverné par cette Règle. Ainsi la fameuse recommandation de saint Benoît «Écoute bien» est illustrée à travers son expérience de marin breton. Il faut «choisir d’écouter» d’où vient le vent pour bien gouverner son voilier. Tout différent est «d’entendre» des sons qui proviennent du milieu ambiant, comme le cri des mouettes ou le léger clapotis des flots, car ils n’influent pas sur la conduite du bateau.
Le moine écrit aussi à sa nièce Solen, qui est en recherche d’une vie de prière authentique. Elle le questionne avec pertinence sur sa manière de vivre l’office divin sept fois par jour. Voilà ce que la Règle nous dit, répond-il: «Pour chanter les psaumes, tenons-nous de telle sorte que notre esprit soit en accord avec notre voix.» Dans la liturgie monastique, le corps est mobilisé par une alternance de positions -debout, assise, inclinée- permettant à l’esprit de demeurer en «éveil» pour adorer, louer, supplier, remercier son Seigneur à travers les psaumes. Ceux-ci sont alternativement récités, chantés, tantôt par un seul frère, tantôt par la petite schola ou le chœur tout entier. Ces changements de position et de rythme cherchent à maintenir l’esprit en vigilance.
L’oncle insuffle ici le prodigieux sens de la mesure qu’avait saint Benoît pour diriger ses moines. Le saint ne souffrait ni nonchalance ni tiédeur. Il indiquait une voie qui serait le juste milieu entre la tension ascétique et le laisser-aller paresseux. Ses enseignements, qui perdurent depuis le VIe siècle, sont toujours actuels. Ils reflètent le désir de prêter une grande attention à l’humain. «C’est à la faiblesse que l’on prêtera attention», nous dit la Règle. La beauté d’un être ne se perçoit pas d’emblée, elle demande de l’attention, du temps et le dépassement des pauvretés qui souvent nous dissuadent d’aller plus loin.