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dimanche, 16 octobre 2022 09:36

Un témoignage dantesque sur la guerre

EugenioCroti IMG 5827Nous sommes en juin 1942. Eugenio Corti est mobilisé dans l’armée italienne comme sous-lieutenant d’artillerie. Il n’est pas un fasciste militant. D’ailleurs, après la chute de Mussolini en 1943, il combattra aux côtés des Alliés pour libérer son pays de la botte allemande. Mais le jeune intellectuel lombard est alors persuadé de servir la patrie et le roi… Il demande donc son affectation sur le front russe.

C’est une page méconnue de la Seconde Guerre mondiale que cette participation italienne aux combats en Russie. L’armée du Duce est mal équipée. Ce sont des divisions d’infanterie et des divisions alpines qui vont devoir affronter les chars soviétiques. Du 19 décembre 1942 au 17 janvier 1943, les troupes italiennes effectuent une terrible «marche de la mort» pour échapper à la poche dans laquelle elles sont encerclées. Et cela dans la neige, le vent et le froid glacial. Seuls quatre mille hommes, dont trois mille blessés, sur trente mille soldats du 35e corps d’armée italien s’en sortiront.

De cette épopée tragique, Eugenio Corti fera un récit publié en italien après la guerre à partir du journal qu'il avait tenu, et à nouveau en français en 2022. Son témoignage est d’un réalisme extrême -qui correspond assez à l’esprit du néo-réalisme dans le cinéma italien de l’époque. Il évoque, par exemple, ces cadavres de «fantassins transformés en blocs de glace, dont les dents mises à nu formaient un rictus de douleur». La retraite se mue en fuite, où la lâcheté des uns côtoie le courage et l’abnégation des autres. Quant aux Allemands, beaucoup mieux fournis en véhicules motorisés et en panzers, ils n’ont que mépris pour ces alliés italiens et ne les aident en rien.

«Voilà ce qu’est la guerre!»

Corti croit en la Providence divine, invoque régulièrement la Madone de son village et récite son chapelet. Comme officier, il déplore le manque de pièces d’artillerie et tente en vain de faire régner un peu d’ordre dans cette «débandade». Il témoigne de l’extrême cruauté de la guerre sur le front Est. Les Allemands abattent systématiquement tous les Russes prisonniers. Les soldats de l’Armée rouge procèdent de même. Quant aux Italiens faits prisonniers par les Soviétiques, l’écrasante majorité mourra dans les trains glacés qui les mèneront dans les camps, d’épuisement, de faim ou du typhus dans ceux-ci. Les lecteurs garderont en mémoire les scènes atroces qui se succèdent: blessés laissés sans soins médicaux qui supplient qu’on les emmène, épisodes de barbarie commis par la Wehrmacht, la faim, le froid, le délire de soldats épuisés qui tombent dans la neige et y meurent. Cadavres pourrissants, monceaux de morts: «Voilà ce qu’est la guerre!»

Le jugement du lieutenant Corti envers les Allemands est ambigu: d’un côté il n’éprouve que dégoût pour leur cruauté, de l’autre il admire leur ordre et leur discipline. Quant aux chefs fascistes restés «bien au chaud» à Rome, qui ont envoyé à la mort les troupes italiennes mal équipées, mal vêtues, il les traite de «cochons» et de «salauds». Ce qui ressort aussi de ce récit, c’est «l’instinct animal de conservation» qui anime l’espèce humaine. Certes, on pourra ne pas être d’accord avec les idées de l’auteur, pour qui la guerre est un châtiment voulu par Dieu de l’humanité entière… Mais pendant cet enfer de l’hiver 1942-1943 est bel et bien né un écrivain. Il rédigera notamment Cheval rouge, qui passe selon certains critiques pour un véritable «Guerre et Paix transalpin». Le récit I più non ritornano vaut la peine d’être lu, non certes pour se repaître d’horreurs, mais comme évocation de la guerre, avec ce qu’elle charrie chez les hommes de Mal, et parfois aussi de Bien.

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Eugenio Corti
La plupart ne reviendront pas
Vingt-huit jours dans une poche du front russe (hiver 1942-1943)
Éditions Noir sur Blanc
Paris 2022, 320 p.

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