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mercredi, 06 juin 2007 02:00

Le combat de Hans Küng

Écrit par

kung40637mem1Hans Küng, Mémoires. Mon combat pour la liberté, Novalis/Cerf, Montréal/Paris 2006, 574 p.

Pour Küng, la liberté est une passion, une vraie vocation. C'est là qu'il faut chercher la clé de son oeuvre théologique et de son engagement en faveur de la véritable figure de l'Eglise catholique, du renouvellement de la théologie et des institutions ecclésiales, et de l'oecuménisme. Contrairement à une image diffusée par les médias, Küng n'est pas un contestataire de principe ni un enfant terrible de l'Eglise. Il n'a pas cherché les controverses, il n'a pas tenté de les éviter, il s'y est tout simplement trouvé impliqué. Au demeurant, Küng est un fidèle catholique, solidement enraciné dans un milieu familial traditionnel, mais très ouvert d'esprit ; un bon Suisse qui a le sens de la démocratie au point de ne pas concevoir un autre fonctionnement pour une communauté ou une institution. Un chrétien aussi, qui a été bouleversé lorsqu'il a compris que la foi au Christ est un acte de confiance, une remise de soi plus qu'une adhésion intellectuelle à un bagage dogmatique.

Théologien, il ne se contente pas de faire de la recherche en chambre. Animé d'un réel souci pastoral - il a exercé le ministère en paroisse - il réfléchit à partir des questions que se posent les gens, sans se laisser enfermer dans un système, surtout pas la néo-scolastique qu'il juge incapable de répondre aux défis du monde moderne. Ses années d'études romaines, à l'époque de Pie XII et de la chasse aux sorcières contre les tenants de la « nouvelle théologie », lui ont fait toucher du doigt le caractère archaïque de la théologie officielle : « La Rome catholique a fait de moi un catholique critique face à Rome » (p. 131).

A Paris, à la Sorbonne et à l'Institut catholique, il étudie la philosophie existentialiste, Hegel et Sartre en particulier. Mais c'est surtout la démarche théologique de Barth qui comblera son attente, au point qu'il consacrera une thèse remarquable et remarquée au thème de la justification chez le grand théologien bâlois. Son intérêt pour l'histoire et l'exégèse historico-critique, ses amitiés avec les théologiens de pointe - Rahner, Ratzinger (un temps), Haag, Karrer, Böckle, Congar, Schillebeeckx et bien d'autres encore -, ses voyages à l'étranger et ses contacts avec d'autres cultures et religions contribueront à élargir l'horizon de ses recherches théologiques et à leur donner une dimension oecuménique. Après un bref passage à l'Université de Münster, il est nommé à la chaire de théologie fondamentale de la prestigieuse Université de Tübingen, en 1960. Il a 32 ans.

Une histoire du concile

Le concile Vatican II va lui offrir l'occasion idéale pour exposer et défendre le résultat de ses recherches. Son extraordinaire capacité de travail, sa vaste culture, ses compétences, son attention aux questions contemporaines le font nommer par le pape « théologien officiel du concile », à 35 ans. Les pages consacrées au concile sont du reste parmi les plus intéressantes.

Avec minutie, Hans Küng analyse les enjeux du concile, les débats auxquels ils donnent lieu, les péripéties par lesquelles passe la rédaction des divers décrets et documents. Tout cela est passionnant, même si l'auteur a tendance à distribuer les bons et les mauvais points et à penser qu'il incarne la juste ligne d'une réforme souhaitable. Ce que d'autres qualifieront peut-être d'arrogance s'explique par le besoin de se défendre contre une Inquisition tracassière qui commence à l'inquiéter plus sérieusement, et son chef, le redoutable cardinal Ottaviani, qui cherche à condamner ce catholique à l'esprit protestant.

Dans un premier temps, son insistance à dénoncer les intrigues de la curie romaine pour infléchir le concile dans un sens contraire à celui de l'assemblée conciliaire semble relever de l'obsession. Il faut reconnaître aujourd'hui que les décisions et les interventions récentes de certains dicastères romains lui donnent entièrement raison.

Ses travaux au service du concile et des évêques ne l'empêchent pas de publier coup sur coup des livres dans lesquels il aborde avec courage les sujets les plus brûlants : la justification, l'unité des Eglises, les structures de l'église, l'infaillibilité pontificale, l'autorité du concile et du pape, la liberté du chrétien et du théologien, le christianisme face aux autres religions, etc. Même si l'auteur donne parfois l'impression de surestimer l'importance de ses livres, il faut bien reconnaître que chaque parution est l'occasion de nouvelles escarmouches avec l'Inquisition, mais aussi de débats qui font progresser la réflexion théologique.

L'auteur insiste beaucoup sur ses états d'âme - mémoires obligent ! - ce qui n'enlève rien à l'intérêt du livre, du moment que Hans Küng est le typique représentant de toute une génération de catholiques qui retrouveront dans ces pages « l'esprit du concile », les belles heures d'un catholicisme dynamique et plein d'espérance face aux défis du monde moderne.

Hans Küng a toujours soigné son écriture (en allemand). L'édition française déçoit malheureusement ces prétentions ; elle fourmille d'erreurs de vocabulaire, de syntaxe et de traduction au point qu'il est permis de soupçonner les relecteurs et autres correcteurs du manuscrit d'avoir dormi durant leurs heures de travail. Comment expliquer sinon que l'on parle du « Cap de Bon espoir » pour désigner le « Cap de Bonne Espérance » (p. 179), que l'on confonde « Sao Paolo » avec la basilique de « Saint-Paul-Hors-les-murs » (p. 215), que l'on écrive « personnage » pour « personnalité » (p. 242), « s'objecter » pour « objecter » (p. 515), « entendre à rire » (p. 530), que l'on traduise au pied de la lettre des germanismes qui n'ont pas leur équivalent en français (p. 356) et tant d'autres erreurs du genre.

L'intérêt de ce premier tome reste toutefois entier, mais il faut espérer plus de rigueur dans la mise au point de la version française du 2e volume, qui relatera les vicissitudes de Küng aux prises avec l'Inquisition et son engagement pour une éthique mondiale.

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