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jeudi, 02 avril 2009 12:00

Dialoguer en chrétiens

Pousseur 41926Robert Pousseur, Jean de Montalembert, Jacques Teissier, Les cultures contemporaines, demeures de Dieu, Desclée de Brouwer, Paris 2008, 190 p.

Ce livre, fruit d'une heureuse collaboration, est hautement recommandé à la lecture par l'archevêque de Strasbourg car, souligne ce dernier, il est porté par des interrogations sur le devenir du monde présent et met en oeuvre des réflexions qui ne pourront qu'aider le lecteur à voir plus clair dans les aspirations, les perplexités et les déceptions qui sont les siennes, en ce qui concerne les rapports entre chrétiens et culture contemporaine.

L'homme, qui a passé au cours de son évolution de l'état de chasseur-cueilleur à la vie de producteur industriel, du refuge dans des grottes aux mégapoles d'aujourd'hui, a dû sans cesse s'adapter. Il a toujours inventé : du calcul avec ses doigts jusqu'aux machines capables de faire plusieurs milliards d'opérations par seconde, des premiers mots balbutiés à l'échange instantané sur Internet.

Dans cette longue histoire de l'humanité, un être nommé Jésus a pris et continue de prendre une place exceptionnelle. Sa marque est indélébile et pourtant il n'a pas laissé de consignes précises pour vivre en disciple dans l'Empire romain du moment, ni pour fonder une religion. Comme si ce « Jésus avait laissé une trace qui donne envie de créer sans crainte ».

C'est forts de cette audace que les auteurs ont cherché comment les premiers chrétiens ont fait leurs premiers pas dans un monde façonné par la culture grecque et quelles traces ils y ont laissées. Ils se sont aussi posé la question : « Aujourd'hui, alors que les cultures se laïcisent et qu'elles s'habillent de mille couleurs, quelle aventure l'humanité est-elle appelée à vivre ? »

Quatre chapitres pour tenter de donner une réponse. Le premier s'articule autour des mutations culturelles, riches de questions et de vie à venir. Le deuxième se focalise sur la participation de Jésus au changement du monde. Le troisième cerne les chrétiens dans les cités et le quatrième débouche sur ces mêmes chrétiens dans la culture contemporaine. Les auteurs se sont laissés guider dans leur approche de la culture contemporaine par une réflexion de Mgr Wojtyla, futur pape Jean Paul II, qui s'étonnait, lors d'une commission de l'Eglise catholique avec le monde moderne, qu'on n'ait pas tenu compte de certaines réponses déjà proposées par les hommes. Ainsi, par exemple, les tensions autour de la crise écologique et la question d'un certain Frère Lang : « Est-il possible d'imaginer que l'homme puisse accélérer la ?fin? de ce monde par la destruction de sa planète et de son environnement, alors que cette fin est supposée être l'oeuvre de Dieu ? »

Autre tension : celle des regards nouveaux sur le corps humain. Alors qu'aux XIIIe et XIVe siècles, relèvent-ils, le bâtiment qui polarise les énergies intellectuelles et ouvre les bourses, c'est la cathédrale, qu'aux XVIIe et XVIIIe ce sont les palais des rois et au XIXe les grands complexes industriels, dans la seconde partie du XXe, c'est l'hôpital. Le corps humain est regardé avec d'autres yeux. Il change de sens, il appartient à chacun. Tout en revendiquant la liberté d'en disposer comme on l'entend, on se rend prisonnier de certains critères de beauté ou d'invulnérabilité. Critères cultivés par une société de consommation. Les nouvelles découvertes de la biologie posent de nouvelles questions, qui ne peuvent se résoudre en suivant les modes. Et croissent alors inquiétudes, désarrois et crispations.

Les artistes, souvent prophétiques, souvent habités par la violence du monde, essayent de ne pas s'y enliser, tout en tentant de pénétrer les secrets de cette violence, jusqu'à en révéler parfois la poésie. Car, s'il y a recherche de sens, importance donnée aux émotions, désir de ne pas être paralysé par des dogmes, il y a aussi une soif spirituelle et un besoin de s'appuyer sur des références solides. Et si les communautés chrétiennes apparaissent figées dans des formulations anciennes, théologiens et historiens mettent en évidence une recherche de réponses aux questions d'une époque.

Sur les traces de Jésus

C'est là qu'intervient la participation inédite de Jésus au changement du monde. Selon Luc, Jésus se situe dans l'ère nouvelle de miséricorde et de justice, sur les traces du prophète Isaïe, grande figure d'Israël, qui récapitule tous les autres prophètes et qui, en fait, ne serait pas unique mais regrouperait des écrits rédigés entre les IIIe et IVe siècles avant J.-C. Jésus, qui est juste, est ajusté à Dieu (selon la Bible, être juste c'est vivre en harmonie avec Dieu, soi-même, les autres et la nature). Le décodage que les auteurs font des paraboles de Jésus est un bijou réjouissant et dynamique.

Sur les pas de ce Jésus, avec les premiers chrétiens, ils nous invitent à respecter les cultures tout en les ouvrant à une nouvelle dimension. Bien sûr, il n'est pas simple de se comprendre et de se respecter entre personnes et groupes de cultures différentes, d'où des disputes fréquentes, des débats houleux, des rapports de forces sans merci, assez indignes de disciples du Christ. Un long cheminement... qui n'est pas terminé et qui est encore et souvent entaché de scandales douloureux.

Des voix s'élèvent aujourd'hui (ce livre en est la preuve), des chercheurs, des experts, des observateurs s'expriment sur l'avenir de l'Eglise en évoquant de nouvelles perspectives pour une résurrection, un nouveau dynamisme. Ces voix sont très nombreuses.

Des chantiers sont à ouvrir, dont l'un toucherait les cultures et leurs relations avec l'universel, un autre aurait trait à l'écologie, un autre à la question des finalités de la vie humaine, un autre à l'évangélisation des jeunes et jeunes adultes, un autre encore à une ouverture vers la création artistique contemporaine. Beaucoup de pain sur la planche mais, dans l'attachement à Jésus, dans l'audace et la liberté, rien n'est impossible.

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