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bandeau art philo
mercredi, 19 août 2015 16:27

Sobriété et poudre aux yeux

Macbeth, de Shakespeare
Coproduction Théâtre Claque et Théâtre des Amis.

L’Avare, de Molière
Coproduction Compagnie Gianni Schneider, Théâtre de Carouge-Atelier de Genève, Théâtre Kléber-Méleau

L’espace restreint d’une très petite scène, une dizaine d’acteurs quand la distribution de Shakespeare en compte près du triple : c’est un pari audacieux … et gagné. Décors de pieux de bois, pendentifs et couronnes de bois, simples tentures pour figurer une fête au palais du Roi Duncan, avec un éclairage et une bande-son subtils, ce Macbeth avec des moyens simples est une réussite. Le texte, dans une nouvelle traduction, est resserré à 2h de scène - la pièce originale n’est pas beaucoup plus longue - et le drame y est condensé et précis.


Lady Macbeth fouette les hésitations de son mari, seigneur et chef de guerre. Les voilà tous deux tendus vers l’ambition de devenir roi et reine, en abattant l’un après l’autre les obstacles de chair sur leur passage. Pauvres comtes, thanes et autres nobles d’épée qui n’ont pas eu le temps de fuir en exil en Angleterre pour préparer la riposte ! Pauvre Banquo, fidèle compagnon d’armes pour tant, pauvre Lady Macduff et ses enfants, liquidés dans un bain de sang, bien dans la manière élisabéthaine : l’horreur est au bout de la lance, du poison ou de la dague.
Lady Macbeth, sensuelle et sans état d’âme, joue de sa séduction pour accroître l’ascendant sur son mari et l’inciter au meurtre du roi d’Ecosse, le bon Duncan, suivi de meurtres en chaîne dans un engrenage délirant. C’est un pouvoir tyrannique et sanguinaire qui succède à Duncan et règne sur le pays. Il attisera vite une révolte - à sa mesure - des nobles guerriers en exil, avant de tomber à son tour.
La mise en scène de Geoffrey Dyson évite le gore et reste dans la sobriété. Le jeu des acteurs, parfaits, n’en ressort que mieux. Maléfiques et funèbres, elles aussi, les sorcières qui prédisent aux chefs de clans et aux nobles embarqués dans cette guerre contre le nouveau tyran ce qui va advenir. Et dont les énigmes ne se révèlent qu’après les évènements dramatiques terminés. Effrayantes, les apparitions, malgré la simplicité de moyens.
Les scènes célèbres de la folie et des hallucinations du couple « maudit » apparaissent de ce fait bien lisibles. Lady Macbeth invoque les forces des ténèbres pour ôter en elle « le lait de la tendresse humaine » (expression profonde, qui est dans le texte d’origine de Shakespeare), afin qu’elle puisse accomplir son forfait. Extraordinaire et éternelle plongée dans le surnaturel, pour exalter ensuite le remords qui brûle les criminels du roi Duncan et de sa suite !
La langue imagée et prophétique de Shakespeare demeure dans cette version resserrée, qui occulte peut-être un peu cette poésie noire, souvent à double sens, qui nomme les choses, tout en disant bien davantage encore du génie shakespearien.

L’Avare
La scène est transformée en pont arrière d’un yacht de grand luxe. En toile de fond, sur un écran géant, les vagues de la mer filmées dans leur mouvement et les nuages qui filent. Sous l’eau, deux jeunes gens (Elise et Valère) remontent à la surface et s’enlacent (sur l’écran). Puis ils sont sur la scène, dans le salon arrière du bateau et se rhabillent. Décor bluffant, dispositif technique complexe - les comédiens sont filmés en gros plan et restitués sur l’omniprésent grand écran -, mais quel est le rapport avec le texte de Molière ? La pièce, dont on ne comprend pas la succession des actes, se déroule dans le même décor de croisière, avec la mer sur fond d’écran, différemment agitée.
Harpagon est un amphitryon filmé en zoom déformant, qui exagère chaque syllabe, comme dans le fameux monologue de la cassette. Jean-Daniel Barbin en rajoute dans l’emphase et cela devient caricatural. Cléante, fils d’Harpagon en baskets blanches et pantalon étroit, semble sorti d’un biopic sur Yves St-Laurent. Les comédiens, pourtant avérés, ne convainquent pas.
Frosine, l’intrigante snob, joue les Marie-Chantal en lunettes noires et pan talon blanc. Marianne, la jeune fille sans dot que convoite le vieil Harpagon, est plantée là en robe de cocktail, sans aucune expression. Elise, fille d’Harpagon, se saisit d’une guitare et chante un air de Bob Dylan. Elle serait parfaite dans Roméo et Juliette… Quant à Anselme, il débarque d’un gros hélicoptère (mais on n’est pas au Vietnam !), en gros plan lui aussi sur l’écran, pour annoncer qu’il est le père naturel de Valère et de Marianne, ses deux enfants qu’il croyait noyés. Il a tout d’un baroudeur sorti de Crocodile Dundee.
Mais diable ! Comment peut-on interpréter Harpagon, radin au point que ses grands enfants manquent du plus élémentaire argent de poche, en yachtman, et lesdits rejetons en jeunesse dorée prête à sortir en boîte (chic) ? Et que dire du profond mal-être de cet avare qui, même dans l’interprétation outrée du grand comique Louis de Funès, laisse transparaître une angoisse fondamentale ? Et comment les enfants d’un pater familias autocrate, comme le dépeint Molière, peuvent-ils avoir l’air de jeunes gens d’aujourd’hui, libres et émancipés ? Tels qu’ils sont représentés, on les voit mal subir plus ou moins docilement les mariages arrangés (« Il faut qu’une fille obéisse à son père ») dont c’est la norme chez Molière et devoir ruser pour parvenir à leurs fins. Un contresens culturel flagrant.
Le public, lui, aime beaucoup et croit voir un « Molière dépoussiéré », comme je l’ai entendu dire à côté de moi. On peut donc y entendre un bon divertissement…

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