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mardi, 29 novembre 2016 14:50

Drames, grands et petits

La Mouette, d’Anton Tchekhov

production Théâtre Vidy-Lausanne
Théâtre de l’Odéon, Paris, du 20 mai au 25 juin.
Tournée en préparation

Caligula, d’Albert Camus
mise en scène Jean-Gabriel Chobaz
Théâtre de Valère, Sion, le 12 avril
Théâtre de l’Alchimic, Carouge, du 25 mai au 4 juin

La Corneille, de Lise Vaillancourt
par la Compagnie Marin
Théâtre du Crochetan Monthey, du 15 au 17 avril,
Théâtre Benno Besson, Yverdon-les-Bains, le 21 avril

Dans La Mouette, l’art du metteur en scène Thomas Ostermeier, directeur de la Schaubühne de Berlin, est de restituer les personnages que Tchekhov a créés avec leurs illusions et leur profondeur - ou leur vide -, dans le cadre minimaliste du théâtre moderne auquel il croit. La Mouette, c’est la jeune Nina, dont l’élan est brisé par des adultes cyniques et arrivistes, comme l’écrivain Trigorine et l’actrice Arkadina.Nina aspire à être comédienne et à réussir à Moscou. Son amoureux, jeune écrivain épris d’absolu, lui écrit une pièce dont la représentation a lieu devant la datcha du vieux Sorine, où une petite coterie d’amis parle théâtre, littérature, soucis d’argent, et joue aux cartes. Quant à l’amour, il est l’un des nœuds de la pièce, mais il fuit, il n’est plus là, il s’adresse à la mauvaise personne. L’amour est une succession de ratés qui finissent tragiquement.
La pièce du jeune Treplev, qui veut bousculer le théâtre traditionnel, fait un flop auprès de la petite bande, emmenée par la mère de Konstantin, ancienne actrice qui continue à se prendre pour une diva et qui n’a que sarcasmes pour la création de son fils, tout en ridiculisant sa jeune actrice.
L’art est l’arrière-fond sur lequel tout se joue : les passions, les conflits, les illusions, les discussions. Entre anciens et modernes, entre deux générations, l’une blasée et l’autre qui attend encore tout de la vie. Nina, dans la pureté de sa jeunesse, s’identifie à la mouette, à sa blancheur. Elle sera sacrifiée comme l’a été la mouette, la vraie celle-là, tirée par Konstantin, qui regrette aussitôt son geste en posant la mouette morte aux pieds de Nina.
Nina s’éprend de l’écrivain Trigorine, déclenchant ainsi son propre destin. C’est la perte des illusions, qui volent haut dans le ciel comme les oiseaux et se fracassent contre le mur des idées reçues, contre les certitudes castratrices de ceux qui sont « en place ».
A côté du couple Nina-Kostantin et Arkadina-Trigorine se côtoient sans se voir Medvedenko et Macha, amoureuse de Konstantin. Elle, toujours en noir : « Je suis en deuil de ma vie. Je ne connais pas le bonheur », et lui qui ne la comprend pas et ennuie tout le monde avec ses économies de bouts de chandelle. Le vieux Sorine, qui va vers sa fin, propriétaire de la datcha, ne cesse de dire qu’il veut vivre alors que ses amis le voient déjà mort.
Au début de la pièce, on assiste à un dialogue « off » entre les comédiens qui posent le problème des migrants actuels. Un lien avec Tchekhov, très engagé, qui écrivait sur le bagne de Sakhaline : « Qui est allé en enfer voit le monde et les hommes d’un autre regard. »
J’ai dit théâtre minimaliste. Les changements d’actes sont signifiés par des notes égrenées par une guitare électrique et des mélodies chantées, dans un coin de la scène. Les comédiens sont sur le plancher de la datcha, avec seulement des chaises et de tables (modernes et banales) durant toute la représentation. Donc ils se surpassent. Dans cette nudité, le spectateur doit imaginer le décor de la pièce : le lac au loin, la datcha, le parc, évoqués par les mots seuls. Un tableau - un paysage - est peint par une artiste sur la paroi du fond et sera recouvert de noir à la fin de la pièce. Admirable transposition du climat tchekhovien.

Caligula

« Maintenant je sais. Ce monde tel qu’il est fait, n’est pas supportable. J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde. » Albert Camus a fait du monstre Caligula un homme qui s’interroge sur le sens de sa vie, entre un meurtre et une confession sur son mal-être. Existentiel ? C’était à la mode au temps de Camus.
Tyran au pouvoir absolu, d’abord aimé, puis haï, Caius César, surnommé Caligula, comme le retrace l’historien Suétone, sera assassiné au bout de trois ans de règne. Cet homme, qui est allé au delà du bien et du mal - à ses yeux, deux absolus grandioses -, déroule ses crimes et nous fait part de ce qui le pousse à la noirceur.
Devant l’incompréhensible, ses proches murmurent qu’il est déboussolé par la mort de sa sœur. Avançant dans les affaires de son règne par l’élimination systématique, bien qu’improvisée au fil de son humeur, il fait table rase en tuant sans distinction, le coupable comme l’innocent. Sauf sa maîtresse Caesonia (Paola Landolt, excellente), qui le comprend si bien et qui mourra la dernière. Presque en sacrifice.
Commentant ses actes avec une ironie cinglante : « Tu feras fermer les greniers publics. Demain il y aura famine ! ordonne-t-il. - Mais c’est un fléau ? se hasarde quelqu’un. - Eh bien demain il y aura fléau ! », ce cynique visionnaire en politique lance : « Gouverner c’est voler. » Les patriciens, qui savent que les attend une mort violente commentent : « Juges, témoins, accusés, tous condamnés à l’avance (...) Un jour il sera seul dans un Empire plein de morts. »
Une pièce troublante, épure de la barbarie. Frank Michaux, qui incarne Caligula, est devant nous dans toute sa fureur et sa sensualité. Un jeu plein de force mais trop vociférant, comme la plupart des rôles masculins, du moins dans le tout petit théâtre Pulloff à Lausanne ! Dommage, la pièce aurait gagné en subtilité par des nuances de jeu.

La Corneille

Une jeune femme rentre de son travail et trouve une corneille dans son loft. Car Julie est branchée, elle est informaticienne, mange bio et fait du yoga. Elle a une voisine, dont l’auteure nous dit qu’elle est lesbienne (bien, et alors ?), qui sonne à sa porte pour emprunter de l’anis étoilé ou du tofu et raconter ses peines de cœur.
Cris et bruissement d’ailes de la corneille préludent au dévoilement de la cohabitation entre soi et ses souvenirs. Sur scène, Christine Vouilloz, formidable comédienne, capable de se transformer selon les différents rôles qu’elle interprète, raconte : « Ça a commencé comme ça. Une corneille volait au-dessus de ma tête en poussant des cris. Message de mort ! Les lumières allaient-elles s’éteindre sur l’Amérique ? Ou était-ce de ma propre fin qu’il s’agissait ? J’ai toujours pensé à la mort. Je mourrai au milieu d’une phrase comme un insecte qui s’écrase sur le pare-brise d’une voiture... » On saisit le ton : léger, plein d’un humour poétique. Telle est la langue de la Québecoise Lise Vaillancourt, qui signe cette pièce.
Julie écoute son répondeur. On entend la voix de sa mère, guirlande de reproches, de non-dits enfin dits, de souvenirs douloureux d’une génitrice et épouse insatisfaite, qui se déverse sans fin dans le téléphone. Julie est au bord de la crise de nerfs lorsqu’une femme en noir débarque la valise à la main : « Peux-tu me loger ? » C’est la mère.
Sur ce thème mère-fille, éminemment psychique, la pièce se déroule sur un rythme haletant. La mère apparaît puis disparaît, suscitant les angoisses de la fille. La voilà dans le réfrigérateur. « Maman, sors de là, tu vas prendre froid ! » Puis la voilà dans la cuisinière : fantasme tellement bien vu ! Comme les chaises : une toute petite et une grande... Mère abusive mais aimante. L’amour pèse d’un poids qui étouffe, voilà le message !
Enjoué et profond. La découverte de cet auteur inconnu ici est un bonheur. Avec une mise en scène subtile pour la nuit, pour le jour, les deux pôles de l’esprit de Julie.
V. B.

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