Un lieu
Il y a tout d’abord ce lieu, théâtre éphémère en sapin qui trône sur la plaine de Plainpalais, dessinée par Nicolas Musin et réalisée par l’ingénieur genevois Thomas Büchi, le concepteur du Palais de l’équilibre (CERN). À cheval sur le skatepark pour n’en couvrir qu’une partie, il propose un espace vaste, aéré, aux dimensions confortables pour les acrobates comme pour les spectateurs. L’architecture aux lignes épurées est belle et en parfaite harmonie avec le spectacle qu’il étreint. On y voit de partout, des plus simples gradins aux chaises VIP, et ce n’est pas un détail pour les hôtes de la structure de bois. Cette dernière abrite une technique sophistiquée qui permet de jouer en toute fluidité du fond du skatepark au plafond du théâtre en passant par des "boîtes" suspendues.
Une lumière
Il y a ces lumières ensuite qui, au fil du spectacle, habillent le sol et le plafond pour lui donner profondeur et vibrance. Elles impriment le bitume de structures renforçant les intentions chorégraphiques des différents tableaux du spectacle. Souvent spectaculaires, parfois criardes et prenant le dessus sur la scène, elles savent aussi se fondre dans le récit. Elles sont sans contexte l’une des grandes réussites de ce spectacle. Les vidéos mapping sont signées David Mathias, de la société Cosmo AV et Philipp Contag-Lada, projectionniste et media artist pour des théâtres et des musées dans toute l'Europe.
Des sons
Il y a aussi ces créations sonores, moins musicales que rythmiques, assurément contemporaines quoique ce mot ne soit pas très révélateur. Ma voisine, 16 ans, s’y est plongée avec délectation. Mes oreilles ont, quant à elles, émis quelques réserves générationnelles. Synthétiques, métalliques, brutales sont les adjectifs qui s’imposent. Mais il serait faux de dire que les compositions de Tim Paris -un des rouages historiques du microcosme underground parisien et l’un des producteurs les plus respectés du macrocosme underground de la planète clubbing globale dit-on- se résument à cela. Elles sont aussi organiques quant il s’agit de sublimer les mouvements des danseurs, entêtantes et saccadées parfois, définitivement rythmiques quand les joueurs de roues entrent en scène, énigmatiques ou mélodieuses quand le scénario le demande. Riches de couleurs et de densité.
Des artistes urbains
Il y a surtout ces formidables danseurs, acrobates rollers/skateurs et autres virtuoses BMX, qui donnent toute sa puissance à ce spectacle. Leur joie d’être là, de faire le show, est palpable et contagieuse. Elle donne la banane! À chacune des entrées des fabuleux humains roulantes, la foule est en liesse et manifeste bruyamment son bonheur. C’est fun, c’est gai, c’est spontané et ça fait du bien! L’attraction terrestre ne semble pas avoir de prise sur eux et leur agilité cache à merveille la dangerosité d’une prestation aérienne qui se déroule la plupart du temps dans la pénombre et à une vitesse qui ne souffre pas le moindre taux d’alcoolémie.
Les danseurs tiennent la trachée haute aux glisseurs urbains. Et ils sont beaux. Oui, oui, normal me direz-vous. Oui, mais ils habitent la chorégraphie avec générosité. Les femmes d’abord, puissantes, félines, elles tiennent souvent le devant de la scène. À l’image du personnage central -joué et dansé par Georgia Curtis- qui capte le regard aux premiers gestes. Mais aussi deux éblouissantes danseuses issues du ballet: la zurichoise Selin Spühler et la thaïlandaise Sarawanee Tanatanit. Les hommes ensuite, virtuoses du breakdance et du hip-hop, qui performent sans relâche avec un facilité enviable. Mention spéciale pour le champion du monde 2008 de hip-hop Nicklas Milling Pedersen, habité, magistral.
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Une histoire
Il y a enfin cette histoire… Elle est sans doute le point faible du spectacle. La trame du récit (à la fois floue dans les détails et simplistes dans les grandes lignes) et les dialogues ne volent pas toujours très haut et laissent peu de place à l’interprétation. Le rôle du duo de comédiens -Laurent Deshusses et Jean-Philippe Meyer- fait penser aux interventions des clowns qui font patienter les spectateurs entre les numéros de cirque. Dommage.
Alors gardons en mémoire le tout. Punchy, créatif, enthousiasmant! Bref, ce spectacle urbain est une jolie réussite et le public en redemande. Ce n’est ni prétentieux ni cheap. Le dosage presque parfait en somme.
Extraits du spectacle ©choisir: