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mercredi, 20 mars 2019 10:06

Des entreprises responsables

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EntreprisesUn peu partout en Europe, des citoyens s’engagent dans des campagnes politiques visant à contraindre juridiquement les entreprises multinationales, qui ont leur siège dans leur pays, à respecter les droits humains et environnementaux chez eux et à l’étranger. (Voir plus bas l'article de Swann Bommier, pour Justice et Paix France.)

En Suisse, la campagne pour l'Initiative dite Pour des multinationales responsables, sur laquelle le peuple sera appelé à voter probablement en 2020, bat son plein. Elle est soutenue par plus de 90 organisations de défense des droits humains, de l’environnement ou de développement, du monde de l’économie, de syndicats et d’Églises. Parmi celles-ci, on trouve la Fondation jésuite international, l'organisation caritative des jésuites de Suisse, et les œuvres d’entraide suisse.

Si les arguments présentés en faveur de l’Initiative populaire fédérale 'Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement' relèvent principalement de l'éthique, sur le plan économique aussi l'adoption de l'initiative peut se révéler positif pour notre pays. Dick Marty, co-président du comité d'initiative, a souligné l'important soutien reçu des milieux de l’économie. «Des entreprises constatent que les scandales récurrents nuisent à la réputation de notre pays et que la réglementation proposée aide la place économique suisse à préparer son avenir.» Ainsi l’association Économie pour des entreprises responsables jouit du soutien de plus de 100 entrepreneur-e-s. Ses membres, eux-mêmes dirigeant-e-s d’entreprises, sont convaincus que l’excellente réputation de la place économique suisse sera renforcée par l’initiative. «Une responsabilité sociale, environnementale et économique des entreprises est indispensable pour une croissance durable», argumentent-ils.

Pour un droit mondialisé

De leur côté, la Commission suisse Justice et paix et les œuvres d’entraide mettent en avant les responsabilités éthiques de notre pays. La finalité de l'économie, souligne l'éthicien Peter Ulrich, n'est-elle pas de satisfaire les besoins humains que sont la préservation de la vie et la qualité de la vie? Sous l’égide de John Ruggie, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a formulé d’ailleurs des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, qui ont été adoptés en juin 2011. Depuis, le Conseil fédéral a réaffirmé à plusieurs reprise leur importance pour notre pays. Pour vérifier l'adhésion des grandes entreprises suisses à ces Principes directeurs, Pain pour le Prochain et Action de Carême ont mené une recherche auprès de 200 d'entre elles, dont 100 cotées en bourse. Le but était de déterminer si elles disposaient d’une politique de droits humains qui s’applique à leurs filiales et à leurs fournisseurs. Les résultats, rendus publiques, en 2016 étaient préoccupants: 61,5% des sociétés analysées ne mentionnent pas le devoir de diligence prévu par les Principes directeurs de l’ONU et seules 11% y font référence.

Les œuvres d’entraide en ont déduit que les mesures volontaires en matière de droits humains ne suffisent pas et que seul un cadre juridiquement contraignant sera amène d’assurer que toutes les entreprises assument leur devoir de diligence, y compris dans leurs filiales et dans l’ensemble de leur chaîne de production.

Le monde de l'économie doit aussi être celui du droit, disent-elles. «Dans la situation actuelle, cela signifie qu'il faut répondre à une économie mondialisée par un cadre juridique mondialisé.»

 


Sur le plan européen

Sur le plan européen, une coalition européenne de plus de 200 organisations de la société civile a lancé une grande campagne intitulée Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales. Nous publions ici l’article de Swann Bommier, chargé de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire, parue dans la Lettre de Justice et Paix France de mars 2019 (n° 244), qui en explique les enjeux.

«La démission de Nicolas Hulot, le mouvement des gilets jaunes, les controverses sur le rôle des lobbys à Bruxelles sont autant de signes qui témoignent de l’inquiétude citoyenne quant à l’idéal démocratique face au pouvoir grandissant des entreprises multinationales. Dans ce contexte, cette campagne, articulée autour d’une pétition et d’initiatives diverses, met en lumière les multiples processus législatifs visant à mettre fin au système de justice d’exception dont bénéficient les multinationales et à introduire des régulations contraignantes pour le respect des droits humains et de l’environnement.

Les entreprises bénéficient en effet aujourd’hui d’une véritable justice d’exception. Le mécanisme d’arbitrage investisseur-État, apparu en 1965 à l’initiative de la Banque mondiale, leur permet d’attaquer devant des tribunaux d’arbitrage privés les États qui adoptent démocratiquement des législations favorables à la promotion des droits humains et à la protection de l’environnement. Ce système de justice parallèle, reconnu dans pas moins de 3400 traités de commerce et d’investissement, a généré plus de 900 plaintes. Aucun domaine n’est épargné par les entreprises qui l’utilisent pour remettre en cause des politiques publiques d’intérêt général relatives à la santé, la fiscalité, l’environnement ou au salaire minimum. (La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement a recensé ces cas.)

Philipp Morris a ainsi réclamé 25 milliards de dollars à l’Uruguay (au PIB de 55 milliards de dollars), qui souhaitait renforcer sa législation sur le paquet neutre de cigarettes. Philipp Morris a perdu, mais les témoignages affluent confirmant l’effet dissuasif de cette procédure sur d’autres États souhaitant légiférer en ce sens. Parfois, les États sont moins chanceux: le Mexique, confronté à Cargill, a dû débourser 77 millions de dollars pour lutter contre l’obésité en instituant une nouvelle taxe sur les sirops de maïs riches en fructose. En France, le Conseil constitutionnel a en partie vidé de sa substance la loi Hulot sur les hydrocarbures pour éviter une possible plainte en arbitrage de l’entreprise canadienne Vermillion.

Ce mécanisme, qui foule aux pieds les principes démocratiques, a été au cœur des mouvements de contestation contre les traités de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis (TAFTA) ou le Canada (CETA) en 2016. Pourtant, l’UE continue à le promouvoir dans les accords en cours de négociation avec le Canada, le Japon, Singapour, le Vietnam.

À l’inverse, l’UE poursuit une «stratégie de diversion» afin d’éviter l’adoption d’un traité onusien contraignant les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement. Leurs victimes rencontrent des difficultés titanesques pour accéder à la justice et obtenir réparation. Le cas du Rana Plaza est instructif: il aura fallu deux ans de mobilisation internationale pour que Benetton, acheteur majeur auprès du Rana Plaza, accepte de contribuer au fond d’indemnisation… Au total, le Rana Plaza Donors Trust Fund, alimenté de manière volontaire par les marques textiles, aura atteint 30 millions de dollars, répartis entre les 3000 personnes et familles directement concernées par la catastrophe. Pour obtenir réellement justice, avec des dommages et intérêts proportionnels au préjudice subi, tout reste à faire. Remonter aux maisons mères relève du calvaire…

Le 24 novembre 2012, au Pakistan, 250 personnes sont mortes brûlées vives dans l’atelier textile Tazreen Fashions. Quatre victimes ont tenté d’obtenir réparation auprès de l’entreprise allemande Kik, qui y sous-traitait une partie de sa production. En janvier 2019, elles ont été déboutées par les tribunaux allemands sous prétexte que leur plainte ne respectait pas les délais de prescription de la loi pakistanaise! Les victimes de la pollution de Shell au Nigéria ont reçu une réponse similaire: pour les juges britanniques, Shell n’était en rien responsable des agissements de sa filiale Shell Nigeria.

Afin de lever ces obstacles, la France s’est dotée en mars 2017 d’une loi pionnière, la Loi sur le devoir de vigilance. Aujourd’hui devenue une référence mondiale, de nombreuses réformes sont en cours en Europe et dans le monde pour rendre les multinationales redevables de leurs actes devant la justice. Une directive européenne pourrait voir prochainement le jour, le vice-président de la Commission européenne s’étant exprimé dans ce sens. Et la société civile se mobilise fortement pour que les États membres de l’OCDE soutiennent l’adoption d’un traité onusien sur la question. À ce moment charnière, un demi-million de citoyens ont signé en un mois la pétition visant à révoquer l’arbitrage et à appuyer les processus législatifs tendant à assurer l’accès à la justice des victimes des multinationales.»

Pour signer la pétition


Si la Campagne œcuménique de Carême 2019  met les femmes à l’honneur, elle s’engage aussi en faveur de l’initiative pour des multinationales responsables. Elle organise une table ronde pour informer sur les enjeux liés aux matières premières et aux droits humains à travers le regard de femmes engagées, en collaboration avec l'Initiative pour des multinationales responsables, la Fédération romande des consommateurs et le B Lab.

ENTREPRISES RESPONSABLES
- Trouver des solutions pour demain -
Lundi 25 mars, 19:30 - Université Ouvrière de Genève

Avec:
Sœur Nathalie, avocate et coordinatrice du Centre d'aide juridico-judiciaire en RDC et hôte de la campagne œcuménique 2019. Elle témoignera de son combat en République démocratique du Congo pour la protection des droits humains au sein d'une région où des entreprises minières suisses imposent leurs lois.
Chantal Peyer, cheffe d'équipe Entreprises et droits humains à Pain pour le prochain
Laurianne Altwegg, responsable Environnement, Agriculture et Énergie à la Fédération romande des consommateurs
Jonathan Normand, Fondateur et directeur exécutif de B Lab

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