En ce qui concerne la compréhension des femmes, le pape François est confronté à cinq handicaps majeurs. Heureusement, il a aussi quelques atouts en mains à faire valoir.
Premier handicap : François est un homme. Et tout homme qui croit avoir quelque chose à dire aux femmes à propos des femmes devrait consulter. Ce que les hommes peuvent faire de plus intelligent au sujet des questions relatives aux femmes, c'est de se taire et d'écouter.
Deuxièmement, François est célibataire. Ne pas avoir de vie sexuelle n'est pas ce qui fait que les hommes ignorent tout des femmes. Mais ne pas avoir d'épouse pour les remettre en place quand ils disent une sottise peut s'avérer un handicap. Tout comme ne pas avoir de filles. « Sois réaliste, papa ! » : voilà une remarque que les hommes célibataires n'ont pas l'occasion d'entendre, mais ils le devraient. Et puis, rien de tel que d'applaudir l'équipe sportive de sa fille pour transformer un homme du Neandertal en père féministe. Car être père d'une fille change la vision du monde. J'en veux pour preuve les plaintes venues d'anciens étudiants qui ont submergé les directeurs d'universités et de collèges jésuites lorsque leurs établissements sont devenus mixtes. Devenus pères, ces mêmes anciens étudiants faisaient tout pour que leurs filles soient admises dans les écoles jésuites. Etre père d'une fille rend un homme plus favorable aux droits des femmes.
Qu'on me pardonne le cliché, mais le troisième handicap du pape François réside dans le fait qu'il est latino-américain. La culture latino-américaine est patriarcale et paternaliste. Les temps changent, évidemment, mais le fait d'être « macho » fait partie de l'ADN du mâle latino-américain.
Le quatrième handicap du pape découle du troisième et tient au fait qu'il n'a aucune expérience du féminisme des pays dits développés. Aux Etats-Unis, nous avons bénéficié de décennies pour apprendre et absorber les positions féministes. Impossible de faire des études supérieures ou même de regarder la télévision sans être confronté à des perspectives féministes. Que cela vous plaise ou non, vous n'y échappez pas. Le pape François ne connaît pas le langage du féminisme du monde moderne, de sorte qu'il a souvent des ennuis, même lorsqu'il essaie de dire quelque chose de gentil sur les femmes. Il retombe dans le langage de Jean Paul II et utilise des expressions telles que « complémentarité », ou « génie féminin ». Et lorsqu'il énumère les vertus particulières des femmes (tendresse, patience, sensibilité), on lui répond : « Mais les hommes ne devraient-ils pas aussi avoir ces vertus ? Et que dire de l'intelligence, du courage, de la créativité ? »
Son cinquième handicap enfin est son opposition à l'ordination des femmes que de nombreuses femmes (et des hommes aussi) considèrent comme le plafond de verre dans l'Eglise. Aussi longtemps que l'autorité sera liée à la prêtrise, les femmes n'auront qu'un rôle consultatif dans l'Eglise, et aucun pouvoir réel. Pourquoi les hommes sont-ils seuls à pouvoir présider l'Eucharistie et les autres sacrements ? C'est quelque chose qui reste incompréhensible pour les femmes qui ont vu s'ouvrir devant elles l'accès à tous les rôles, pratiquement, dans la société et la culture.
Les jokers de François
Cinq handicaps, c'est normalement plus qu'il n'en faut pour mettre quelqu'un hors-jeu, mais François n'est pas un joueur ordinaire. La plupart des femmes continuent à l'aimer et lui pardonnent ces faiblesses, parce qu'il y a tant d'autres choses qu'elles apprécient chez lui : sa simplicité, son souci des pauvres, son authenticité et l'accent qu'il met sur la compassion, etc.
Et puis, reconnaissons-le, il n'est pas totalement ignare dans le domaine des questions féminines. Après tout, il a vécu dans le pays d'Eva Perón, qui fut l'une des personnes les plus puissantes de l'Argentine du XXe siècle. Dans sa jeunesse, Jorge Mario Bergoglio était péroniste, et son pays a eu une femme pour présidente bien avant les Etats-Unis. Il est vrai que ses relations avec la présidente Cristina Fernandez de Kirchner ont été rocailleuses, mais il avait les mêmes problèmes avec son mari lorsqu'il était président.
Et François a d'autres atouts. Le premier consiste, comme on l'a vu, à avoir l'habitude de voir des femmes au pouvoir en politique. Le second a également été évoqué plus haut : mais même s'il n'a pas l'expérience du féminisme qui a cours en Europe, aux Etats-Unis et ailleurs, il s'est familiarisé avec les problématiques liées aux femmes en écoutant des habitantes des bidonvilles de Buenos Aires parler de leurs soucis. Lorsqu'il était archevêque, Bergoglio a poussé la porte de nombreuses femmes, a bu le maté avec elles et écouté ce qu'elles lui disaient. Elles lui ont parlé du fardeau écrasant de la pauvreté, du besoin d'emplois pour elles-mêmes et pour leurs maris. C'est ce qui a fait de François un critique cinglant du capitalisme et de la mondialisation, et un défenseur résolu du rôle de l'Etat dans la création d'emplois. Ces femmes ne se plaignaient pas de ne pas pouvoir devenir PDG ; elles redoutaient simplement de ne pas pouvoir nourrir leurs familles.
Il a aussi entendu des mères qui craignaient de voir leurs filles enlevées et forcées à se prostituer, les autorités ne se souciant guère d'une adolescente des bidonvilles qui ne rentrait pas à la maison. Pour les politiques en place, les gosses des bidonvilles ne représentaient pas une priorité. En y regardant de plus près, même aux Etats-Unis, avez-vous remarqué que la plupart des enfants disparus dont parlent les médias sont blonds et ont les yeux bleus ? Bergoglio, lui, se souciait de ces disparitions, et il prit avec d'autres la tête du mouvement de lutte contre le trafic d'êtres humains en Argentine. Pour les filles et les femmes des pays émergents, c'est un problème qui revêt une importance énorme. Dans sa lutte contre le trafic d'êtres humains, il a collaboré avec une avocate d'Argentine. Je l'ai rencontrée à Washington et lui ai demandé : « A quoi ressemblait la coopération avec Bergoglio ? » « C'était merveilleux », a-t-elle répondu. « Il faisait tout ce que je lui disais de faire ».
Et c'est là son troisième atout : il n'a pas peur des femmes intelligentes, ni de celles qui ont de la force. Cela ne le gêne pas de travailler pour une femme. En fait, dans son premier emploi de jeune pharmacien, il a eu une femme pour patron et instructeur. Il lui est toujours resté reconnaissant pour ce qu'elle lui avait appris et ils sont devenus amis pour la vie. Elle était communiste, et il s'est efforcé de la protéger, elle et sa famille, contre le gouvernement militaire.
Théologie des femmes
Le message le plus porteur d'espoir du pape François, à propos femmes, est peut-être ce qu'il a dit de l'Eglise qui a besoin d'une nouvelle théologie des femmes dans l'Eglise. Certaines féministes n'aiment pas cette formulation. Ce dont on a besoin, diront-elles, c'est d'une nouvelle théologie de la personne - il ne faut pas discriminer les femmes. Mais je me permets d'écarter l'objection pour l'instant. Ce qui importe ici, c'est que le pape ait admis que nous n'avions pas de théologie adéquate en ce qui concerne les femmes. C'est là une déclaration extraordinaire venant de l'autorité que l'on avait coutume de présenter comme l'homme qui a réponse à tout. Certes, les papes Jean Paul II et Benoît XIV n'auraient jamais tenus ce tels propos. Jean Paul pensait certainement que sa théologie de la personne humaine contenait une magnifique théologie des femmes.
En disant que nous avons besoin d'une meilleure théologie des femmes, le pape François a jeté celle de Jean Paul par la fenêtre. En disant que l'Eglise n'a pas de théologie des femmes adéquate, le pape invite l'ensemble de l'Eglise (les femmes, les hommes, les théologiens, les évêques) à un débat sur les femmes. A long terme, mener ce débat au sein de l'Eglise est sans doute plus important que toute déclarations que le pape pourrait faire pour plaire aux féministes. Un débat ecclésial sur les questions touchant les femmes serait bon pour l'Eglise, dont la moitié au moins des membres sont ... des femmes.
Les féministes n'aimeront pas tout ce que le pape dira, mais aucune personne dans son bon sens ne devrait s'attendre à être d'accord avec tout ce que dit une autre personne. Nous pouvons légitimement attendre le respect mutuel et le dialogue. Je suis persuadé que le pape y est ouvert.
Mais ... attendez. N'ai-je pas dit que les hommes célibataires devraient se taire et écouter ? Alors, oubliez tout ce que je viens de dire.
Th. R.
Ce texte a paru en langue anglais sur le site du National Catholic Reporter, en date du 20 mars 2015.
A lire encore au sujet de la place des femmes dans l'Eglise, l'éditorial de Lucienne Bittar, "Eve et Marie", in choisir n° 660, de décembre 2015.
Bon à savoir : Christine Pedotti sera à Versoix vendredi 3 avril, de 9h30 à 11 heures, pour une rencontre autour de la place de la femme dans l'Eglise - "Où sont les femmes ?". Voir le PDF ci-joint.