Au cours des 50 dernières années, l’Église catholique aux États-Unis a vu le nombre de prêtres diminuer. Selon les rapports de CARA (Centre de recherches sur l’apostolat), on en comptait 59'192, alors qu’en 2016 il n’en restait que 37'192. Entre temps, le nombre des catholiques est passé de 51 millions à 74,2 millions. Cela signifie qu’en 1970, il y avait un prêtre pour 861 fidèles, mais qu’en 2016 la proportion était de un pour 1995. Ces chiffres comprennent aussi bien les religieux que les prêtres diocésains et ceux qui sont à la retraite. Lorsque ceux qui ont actuellement plus de 65 ans mourront, la situation sera pire encore.
Dans de nombreuses régions des États-Unis, nous avons déjà constaté les effets de la diminution du nombre de prêtres. Des paroisses fusionnent, d’autres ferment. Seules quelques-unes ont encore plus d’un desservant. Des prêtres venus d’Afrique et d’Asie sont maintenant missionnaires aux États-Unis. Dans les zones rurales, certains parcourent des centaines de kilomètres en fin de semaine pour visiter des paroisses dans des petites villes où pas un seul prêtre ne réside et où les paroissiens ne voient parfois le prêtre qu’une fois par mois. En 1970, il y avait 571 paroisses sans curé, mais en 2016, on en comptait 3499.
Ce problème n’affecte pas seulement les États-Unis; il est même plus grave ailleurs. En 2014, pour 1,2 milliard de catholiques dans le monde, il y avait 414'313 prêtres, c’est-à-dire un pour 2896 fidèles. En Amérique latine, pour des raisons historiques, on manque de prêtres depuis plus de 100 ans. C’est d’ailleurs l’une des raisons de l’avancée des évangéliques et des pentecôtistes sur ce continent. S’il n’y a pas de prêtre, les gens vont là où ils trouvent un office. L’Afrique et l’Asie passent pour des régions où il y a abondance de vocations, mais même là, on manque de prêtres et déjà le nombre des vocations est en baisse.
Pourquoi les vocations sont-elles en recul?
De nombreuses théories sont en présence. Les conservateurs ont tendance à incriminer la culture sécularisée et les nouvelles générations. Les jeunes, selon eux, sont des consommateurs centrés sur eux-mêmes et dépourvus de discipline et de l’esprit de sacrifice nécessaires à qui veut être prêtre.
Les sociologues, pour leur part, évoquent les changements démographiques. Les familles sont devenues moins nombreuses. Dans une grande famille, les parents se réjouissent qu’un de leurs enfants devienne prêtre, mais s’ils n’ont qu’un ou deux enfants, ils préfèrent avoir des petits-enfants.
L’accès généralisé aux études change aussi la perspective. Autrefois, devenir prêtre était l’une des rares possibilités de pouvoir faire des études, surtout pour les enfants de familles modestes. Le prêtre était souvent la personne la plus instruite de la communauté, ce qui rehaussait son statut social. Aujourd’hui, l’accès à l’instruction est devenu plus aisé et le prêtre ne jouit plus du même prestige que par le passé.
En un mot, nombre de vocations, autrefois, étaient issues de familles nombreuses où un prêtre était le premier membre à faire des études supérieures au sein de communautés où le prêtre était une figure respectée. La raréfaction des vocations est corrélative à la disparition de ce type de société. Même dans les régions de l’Inde où les catholiques sont bien scolarisés, font partie de la classe moyenne et ont peu d’enfants, on assiste à un déclin des vocations. Rien n’indique donc que ce phénomène ne se produira pas en Afrique ou en Asie, là où les catholiques deviennent plus prospères.
Certains changements dans l’Eglise ont aussi influé sur les vocations. Le concile Vatican II a souligné le rôle des laïcs et l’importance du mariage comme chemin de sanctification. Le sacerdoce et la vie religieuse ont perdu de leur piédestal.
De même, après le Concile, de nombreux ministères, auparavant réservés aux prêtres, se sont ouverts aux laïcs, dont certains sont aujourd’hui théologiens, assistants pastoraux, directeurs spirituels, enseignants, ou ont des emplois dans des chancelleries ou des organisations caritatives catholiques. En fait, une personne laïque peut faire presque tout ce que fait le prêtre, hormis présider l’eucharistie, entendre les confessions et pratiquer l’onction des malades. Ceux qui se sentaient appelés à servir l’Église se sont rendu compte qu’ils pouvaient se marier et assumer nombre de fonctions sans être prêtres.
Le sociologue américain Dean Hoge a mené une enquête parmi de jeunes hommes qui travaillent dans le cadre des aumôneries universitaires et a constaté que nombre d’entre eux seraient intéressés par la prêtrise s’ils pouvaient se marier. D’aucuns soutiennent même qu’il n’y a pas diminution des vocations, mais que les évêques ne reconnaissent simplement pas le fait que Dieu appelle au sacerdoce des hommes mariés et même des femmes.
Viri probati
Au début de ce mois, le pape François a parlé des vocations et de la possibilité d’ordonner des viri probati, c’est-à-dire des hommes mariés qui ont fait leurs preuves. «Le problème est la pénurie des vocations, un problème que l’Église doit résoudre», a dit le pape. «Nous devons réfléchir pour savoir si les viri probati sont une possibilité. Ensuite, nous devons aussi déterminer quel rôle ils peuvent jouer, notamment dans les communautés isolées. Actuellement, dans de nombreuses paroisses, des femmes engagées maintiennent le dimanche comme un jour de prière en célébrant des offices de la Parole. Mais une Église sans eucharistie n’a pas de force.»
L’une des grandes réalisations du pape François est son ouverture du débat dans l’Église. Le pape Paul VI avait brièvement envisagé la possibilité de prêtres mariés, mais durant les deux derniers pontificats, la discussion sur ce sujet n’a pas été autorisée. Je n’aurais pas pu écrire cette chronique du temps où j’étais rédacteur à America (1998-2005).
Lorsqu’il était archevêque, Jorge Bergoglio avait prudemment soulevé la question des prêtres mariés. Au chapitre 6 de Sur la terre comme au ciel, il mentionne l’existence de prêtres mariés dans les traditions orientales (byzantine, ukrainienne ou grecque) de l’Église catholique, et note que ce sont de bons prêtres. L’Église catholique occidentale, ou romaine, observe la règle du célibat, mais les Églises catholiques orientales, qui sont en communion avec Rome, ont toujours eu des prêtres mariés. Aux États-Unis, nous avons aussi des anciens prêtres anglicans ou luthériens qui sont mariés et qui exercent aujourd’hui le sacerdoce dans l’Église catholique.
Pendant près de 1000 ans de son histoire, l’Église a eu un clergé marié. Depuis mille ans maintenant, nous avons la règle du célibat. Celle-ci cependant n’est pas toujours bien respectée. Jorge Bergoglio n’appréciait pas la pratique de prêtres qui ne remplissaient pas leurs engagements. Il pouvait être indulgent si le prêtre changeait de comportement, mais il disait préférer un bon laïc à un mauvais prêtre. Si un prêtre avait un enfant, il disait qu’il devait s’en aller, parce que le droit d’un enfant à avoir un père l’emporte sur l’obligation de l’homme à rester prêtre. Je pense que le pape François est en faveur d’un célibat facultatif, mais il ne va pas déclarer soudain sur la place Saint-Pierre que l’Église va avoir des prêtres mariés dès la semaine prochaine. Ce n’est pas sa manière de faire. Il croit en une Église collégiale, où il prend ses décisions avec le collège des évêques.
Un évêque brésilien, Erwin Krautler, s’est ouvert au pape au sujet de prêtres mariés qu’il souhaiterait pour son immense diocèse de la forêt amazonienne, où il n’y a que 27 prêtres pour 700'000 fidèles. Le pape lui a répondu de s’adresser à sa conférence épiscopale et de convaincre les évêques de faire cette demande. C’est probablement ainsi qu’on réintroduira des prêtres mariés dans la branche romaine de l’Église catholique: lorsque des conférences épiscopales en demanderont pour des régions reculées où le besoin est aigu. Mais une fois acquise, leur présence ne tardera pas à apparaître en d’autres lieux.
Si le peuple de Dieu veut des prêtres mariés, il doit le faire savoir à ses évêques. Le pape attend que les évêques le lui demandent. Les gens doivent donc inciter leurs évêques à faire cette demande.
Le Père Thomas Reese sj est rédacteur au National catholic reporter et l’auteur de "Inside the Vatican: The Politics and Organization of the Catholic Church".