Suivant la stratégie du pape François déployée systématiquement, le voyage était organisé de manière à sensibiliser au message central de son pontificat. Les mêmes axes prioritaires adaptés aux situations concrètes se retrouvent et se renforcent dans chaque "actuation" publique (en philosophie, passage de la puissance à l’acte), créant ainsi un récit cohérent et motivateur. Le pape François s'érige contre la société de consommation destructrice de la nature et de l'être humain. En conformité avec sa devise, Miserando atque Eligendo, qui fait référence à l'attitude de Jésus envers le pécheur et futur apôtre saint Matthieu, le Saint-Père promeut un accueil solidaire et chaleureux envers tous nos congénères ce qui implique aussi une reconnaissance et une protection de notre planète, notre maison commune. «Tout est lié. Si l'être humain se déclare autonome par rapport à la réalité et qu'il se pose en dominateur absolu, la base même de son existence s'écroule» (Laudato sí §117). Et réciproquement, «il n'y a pas de nouvelle relation avec la nature sans un être humain nouveau. Il n'y a pas d'écologie sans anthropologie adéquate» (Laudato sí §118).
Dans cette perspective, voici quelques thèmes forts du voyage qui ont été relevés localement et internationalement:
L'attention aux populations vulnérables. Le pape François a consacré deux jours à des assemblées avec des peuples originaires, dans le Sud du Chili avec les Mapuches et à Puerto Maldonado (un port fluvial de l'Amazonie péruvienne), avec des représentants de plusieurs tribus amazoniennes péruviennes et brésiliennes. Le pape a loué la «sagesse millénaire» de ces peuples et a dénoncé les menaces qui pèsent sur eux, en particulier de la part des transnationales spécialisées dans l'exploitation des matières premières et des mineurs illégaux qui surtout au Pérou utilisent sans précaution des produits chimiques toxiques. Par ailleurs, à plusieurs reprises, le pape s'est fait le héraut de la douloureuse condition de la plupart des femmes latino-américaines. Celles-ci sont victimes de la traite des personnes et en général du machisme violent qui provoque des taux élevés de féminicides. Finalement, le thème des migrants, un des points forts du discours bergoglien en Europe, a été abordé à Iquique, au nord du Chili, seule région réceptrice d'immigration.
Le soin de notre maison commune, notre terre mère. Le sujet a été traité de manière transversale dans tous les discours papaux et a reçu une attention toute particulière dans la réunion à Puerto Maldonado, une région marquée par la désertification provoquée par l'activité humaine. Cette assemblée qualifiée par le pape de «signal au monde» représente une illustration de l'encyclique «sur la sauvegarde de la maison commune», Laudato sí, et constitue la première étape du Synode sur l'Amazonie prévu pour 2019, ainsi l'a annoncé le Saint-Père. Le message était fort et il a mis en évidence les multiples problèmes de la zone. Cependant les intérêts financiers ont vite repris le dessus, et lundi 22 janvier le parlement péruvien autorisait la construction d'axes routiers dans la région, favorisant ainsi la surexploitation destructrice de ces terres...
La lutte contre la corruption. Le scandale financier (lava jato) de l'entreprise brésilienne Odebrecht a récemment révélé la corruption politique en Amérique latine, via la survalorisation des travaux publics. Le pape François a plusieurs fois fait référence à ce mal corrosif, considérant que la plus grande partie de la classe politique latino-américaine est en «décadence». De fait, le Saint-Père s'efforce systématiquement d'éviter que sa présence puisse être instrumentalisée par les hommes politiques, en maintenant avec eux publiquement une relation cordiale mais distante. C'est probablement un des motifs pour lesquels le pape n'a pas encore réalisé de visite officielle dans son pays d'origine, l'Argentine.
Le scandale des abus sexuels par des religieux. Au Chili, en 2009, la révélation des abus sexuels, en particulier du prêtre très populaire et respecté Karadima, a provoqué une brutale perte de confiance dans l'Église. En quelques mois, l'indice de confiance est passé de plus de 60% à moins de 40%. Depuis, il ne s'est pas récupéré. En ce sens, on peut considérer que l'accueil plus réservé reçu par le pape au Chili s'explique par ce problème encore non résolu et non pas, comme l'ont prétendu certains, par une «sécularisation” chilienne. Durant la visite papale, la polémique a fait rage au Chili en se cristallisant sur le maintien d'un évêque, Mgr Juan Barros, accusé par certains de protéger Fernando Karadima et par ailleurs défendu par la hiérarchie, le pape François inclus. Au Pérou, le cas de la Société de Vie Apostolique, Sodalitium Christianae Vitae (connu comme les «sodalites»), a fait moins de ravage dans l'opinion publique. Le pape a su bien gérer la situation, en nommant avant son arrivée un visiteur apostolique et en affirmant que le fondateur du groupe, le laïc Figari devrait répondre de ses actes devant la justice civile, si besoin est.
Cependant, en bon chrétien, le pape François ne s'est pas limité à un catalogue de problèmes, il a martelé un appel à l'action dans l'Espérance, une vertu cardinale!