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jeudi, 17 octobre 2019 15:10

Rencontre avec Marie-Jo Thiel

Thiel2© Lucienne BittarDe passage à Genève les 15 et 16 octobre 2019, la théologienne et médecin strasbourgeoise Marie-Jo Thiel est intervenue publiquement à la Paroisse St-Paul sur L’Église catholique face aux abus sexuels sur mineurs, puis auprès de l’Association suisse des journalistes catholiques (ASJC). Elle a réaffirmé son souci de l’écoute des victimes d’abus, la nécessité d'un travail de prévention dans les diocèses et d’une plus grande insertion des femmes dans la gouvernance de l’Église.

Professeur d’éthique à la Faculté de théologie de Strasbourg, Marie-Jo Thiel a aidé à mieux appréhender les scandales de pédophilie qui ont ébranlé l’institution ecclésiale. Elle a aussi cherché à analyser pour quelles raisons certains membres de l’Église ont dérapé de manière systémique.

Ce ne sont pas uniquement quelques «moutons noirs» qui ont fauté, déclare-t-elle, mais l’institution qui a permis, voire couvert des faits longtemps gardés secrets. Son livre, L'Eglise catholique face aux abus sexuels sur mineurs (Bayard), n'a que six mois mais il faudrait déjà le compléter avec les dernières enquêtes. 

«J’aime mon Église et comme elle dysfonctionne, je le dis.»

Accueillie par l’Association suisse des journalistes catholiques au siège de l’Écho magazine à Genève, la Strasbourgeoise a évoqué la lourde problématique des abus. «J’aime mon Église et comme elle dysfonctionne, je le dis.» Engagée dans la prévention des abus, Marie-Jo Thiel multiplie les interventions, dans les paroisses, à la radio RCF, auprès des évêques français. Également membre de l’Académie pontificale pour la vie au Vatican, elle soigne ses contacts romains. Cela lui permet de poser un regard lucide sur la double réalité des victimes -«Tant qu’on n’a pas entendu des témoignages de personnes abusées, ces situations semblent lointaines. (...) Lorsque ces abus sont répétés, ils peuvent provoquer un stress traumatique aigu, des lésions au cerveau, comme ‘un disjoncteur qui saute’ dans sa tête. C’est une bombe à retardement pour toute la vie»- mais aussi des abuseurs. Ainsi on manque cruellement d’accompagnateurs spirituels pour les victimes. En ce qui concerne les prêtres abuseurs, une fois leur peine purgée, ils sont souvent livrés à eux-mêmes. Il faudrait les suivre, notamment à travers des cercles de soutien. Les situations individuelles sont si diverses! Certaines personnes sont perverses, d’autres névrotiques. Marie-Jo Thiel relève que ces cercles de soutien, composés de laïques responsables pour accompagner des abuseurs, avec des professionnels, commencent à porter des fruits.

Mieux vaut tard

Dans le diocèse de Strasbourg, Mgr Luc Ravel a écrit l’an dernier une lettre pastorale, Mieux vaut tard, pour faire émerger les situations trop longtemps tues et sensibiliser le terrain pastoral. «De vraies discussions ont eu lieu, localement, qui témoignent de la prise de conscience des abus. Et les remontées sont prévues», annonce la théologienne alsacienne. Ce processus synodal a permis à l’évêque de rencontrer une trentaine de victimes, ainsi que les paroisses concernées par des situations d’abus sexuels.

«Nous nous sommes inspirés de la Suisse, notamment du travail réalisé dans le diocèse le Lausanne, Genève et Fribourg, explique Marie-Jo Thiel. Mais il faut aller plus loin, voir comment pousser sur l’aspect de la prévention.» Par exemple, un prêtre ne doit pas être seul avec un enfant, la confession doit être visible à travers une baie vitrée ou en plein air, comme aux JMJ.

Et ailleurs, la prévention avance-t-elle? «Tout dépend du pays, note l’éthicienne. La prise de conscience est forte en Belgique, aux Pays-Bas, en Irlande. Mais édicter des lignes directrices ne suffit pas. Aux États-Unis, 2000 abuseurs issus du clergé seraient dans la nature, selon la presse indépendante.»

De la base vers le sommet

La réflexion de la théologienne embrasse aussi les questions de gouvernance en Église. «Le pape François a bien compris qu’il fallait réformer l’Église par la base pour que le sommet change. Un mouvement du bas vers le haut, et non l’inverse. Les conférences épiscopales devraient pouvoir gérer les situations locales, comme l’hospitalité eucharistique en Allemagne par exemple. Car la crise actuelle de l’Église est la crise d’un système de gouvernance.

Concernant la pédophilie, il ne s’agit pas «d’accuser uniquement Mai 68 comme génératrice de déviances, comme l’a fait Benoît XVI entre autres. Ce n’est qu’un facteur parmi d’autres, estime Mme Thiel. Dans une crise de nature systémique, ce n’est pas juste cela. Car derrière les abus sexuels, il y a aussi souvent des abus de pouvoir, des abus financiers et des abus spirituels».

Lire à ce sujet L'abus spirituel, blessure spirituelle, de Beat Altenbach sj, membre du groupe d'experts "Abus sexuels dans le contexte ecclésial" de la Conférence des évêques de Suisse.

La professeure en appelle aussi une plus grande insertion des femmes dans les rouages ecclésiaux, notamment dans les séminaires. Il faudrait aussi ouvrir ces lieux de formation à la dimension psycho-spirituelle. «Et pourquoi ne pas séparer le fonctionnement de la Curie, qui est d’abord du management, des ministères ordonnés? On n’a pas besoin de cardinaux ou d’évêques à la tête de dicastères romains!»

Thiel livreMarie-Jo Thiel
L’Église catholique face aux abus sexuels sur mineurs
Paris, Bayard, 718 p.

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