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lundi, 21 décembre 2015 11:27

Thérèse de Jésus

« Le monde est en feu ! [...] Ce n’est pas le moment de traiter avec Dieu d’affaires de peu d’importance. »[1] Ce cri du cœur lancé par Thérèse d’Avila il y a cinq siècles demeure ô combien actuel ! Jeune carmélite, Mireille-Teresa[2] a entendu cet appel et a prononcé ses vœux solennels en octobre 2014, à l’âge de 28 ans. A la suite de sa « Madre » Thérèse, elle puise sa force dans sa relation d’amitié avec Jésus.

Thérèse d’Avila - ou Thérèse de Jésus, comme elle est nommée depuis son entreprise de réforme de l’Ordre du Carmel - a insufflé au monde un souffle apostolique et missionnaire. Ce qui se passe à son époque, durant le Siècle d’or espagnol (conquistadors, Réforme luthérienne, bataille de Lépante, etc.), ne la laisse pas indifférente, bien au contraire. Thérèse se demande : et moi, que puis-je faire ?
Sa réponse est si simple qu’elle nous prend presque au dépourvu : « Faire le peu qui dépend de nous » (Chemin de perfection, ch. 1,2). Autrement dit, vivre à fond et par amour notre vocation, quelle qu’elle soit. S’inscrivant dans ce même élan, une autre Thérèse, celle de Lisieux,[3] s’écria le jour où elle découvrit la dimension missionnaire de sa vocation : « Ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’amour. Dans le cœur de l’Eglise, je serai l’amour. »[4]
A la lecture des Manuscrits de Thérèse de Lisieux, j’ai commencé à découvrir la spiritualité du Carmel. La vocation de missionnaire par la prière et l’amour rejoignait le désir profond qui m’habitait. Alors, j’ai poursuivi ma recherche en lisant les écrits de la Madre, Thérèse de Jésus. Ce fut là une révolution copernicienne : Dieu n’est pas au-dehors, mais il vit au-dedans de moi ! Je me suis mise à lui parler, à vivre en compagnie de cet Ami véritable. A travers la vie et les écrits des saints du Carmel, j’ai compris que se mettre à la suite de Jésus était source de fécondité, et qu’une vie donnée a un retentissement souvent caché, mais bien réel.
Aujourd’hui, ce désir apostolique est le souffle de ma vie carmélitaine, car je n’ai pas répondu à l’appel de Jésus pour moi seule, mais pour l’Eglise et le monde. « C’est là votre vocation, ce sont là vos affaires, là doivent tendre tous vos désirs », dit la Madre à ses sœurs (Chemin de perfection, ch. 1,5).

Un désir de vie
Mais qui est cette religieuse devenue première femme docteur de l’Eglise, avec Catherine de Sienne ? Née le 28 mars 1515, dans une famille de la noblesse castillane, Teresa de Ahumada y Cepeda passe son enfance à Avila, entourée de ses onze frères et sœurs. Elle reçoit une très bonne éducation. En ce qui concerne la vie chrétienne, elle a dès son plus jeune âge appris à prier. Ses parents sont des gens vertueux et d’une grande charité.
Un événement vient malheureusement assombrir ce tableau familial : la maman de Thérèse meurt, alors que celle-ci est âgée de quatorze ans. Dans son immense tristesse, la jeune fille demande à la Vierge Marie d’être sa maman. Thérèse est devenue une belle jeune fille fort soucieuse de son apparence. Elle a quelque attrait pour la lecture des romans de chevalerie, mais aussi pour l’un de ses cousins, ce qui inquiète son entourage. Car on ne badine pas avec le point d’honneur. Cela suffit pour que son père l’envoie en pension chez les Augustines.
Bien vite, elle s’y acclimate et « les heureuses dispositions de son enfance » renaissent. Pas assez toutefois pour songer à devenir elle-même religieuse. Une maladie l’oblige à quitter le pensionnat pour se rendre en convalescence chez sa sœur.
Durant le voyage, elle s’arrête chez l’un de ses oncles, Pedro, un homme pieux et de grande vertu. A son contact, Thérèse fait l’expérience de la vanité des choses : « Tout passe. » C’est ce sentiment de finitude qui va la pousser à entrer au monastère du Carmel de l’Incarnation à l’âge de vingt ans, malgré l’opposition de son père. Elle y est heureuse, mais trois ans après son entrée, une grave maladie la conduit au seuil de la mort et la laisse paralysée. Il lui faudra plusieurs années pour récupérer. Thérèse restera marquée toute sa vie d’une grande fragilité de santé.
Après cette lutte contre la maladie et la mort physique, Thérèse doit mener un autre combat - celui de la croissance humaine et spirituelle -, cette fois contre une mort intérieure. Durant dix-neuf ans, elle demeura comme écartelée entre son idéal et son agir, si bien qu’elle écrivit : « Je désirais vivre, car je le sentais, ce n’était pas vivre que de se débattre ainsi contre une espèce de mort » (Vie, ch. 8,12).

Pâque de la confiance
La vie de Thérèse bascule au moment que l’on nomme « sa seconde conversion »,[5] passage de la confiance en soi à la confiance totale en Dieu. Devant une petite statue du Christ ligoté à une colonne (bien de son époque), s’opère en elle une profonde libération. C’est un Christ attaché qui a détaché Thérèse ! Oui, si nous nous attachons au Christ, il nous libère de nos entraves.
Thérèse poursuit sa vie de moniale, mais sa communauté ne cesse de croître en nombre, passant de soixante religieuses au moment de l’entrée de Thérèse, à cent quatre-vingts, ce qui engendre des difficultés économiques considérables. Les sœurs se rendent régulièrement dans leur famille pour assurer leur subsistance. Dans ces conditions, le climat de ferveur diminue. C’est dans ce terreau que le Seigneur va susciter le désir, chez quelques femmes dont Thérèse, de revenir à la Règle primitive du Carmel.
Deux ans plus tard, en 1562, est fondé à Avila le premier monastère de la réforme du Carmel, sous le vocable de saint Joseph. Puis, recevant l’autorisation de poursuivre la réforme chez les moniales et de l’étendre aux religieux, Thérèse fonde quinze autres monastères de carmélites déchaussées, et deux autres le sont à son instigation. Elle incite le Père Jean de Saint-Matthias à se joindre à ce projet de réforme. Celui-ci prend alors le nom de Jean de la Croix. Avec deux autres compagnons, ils deviennent les premiers carmes déchaux de l’histoire.
Ce temps des fondations se poursuit jusqu’à la mort de Thérèse, le 4 octobre 1582, à Alba de Tormes. Ses dernières paroles, « Je suis fille de l’Eglise », témoignent de son ardent désir apostolique. Mais où donc cette femme à la santé fragile, mais à la détermination et au caractère bien trempé, a-t-elle trou - vé l’énergie, la force pour accomplir de telles œuvres ?

Amitié avec Jésus
« Je ne vous demande qu’une chose : le regarder » (Chemin de perfection, ch. 26,3). Thérèse a puisé sa force en celui qu’elle aimait et contemplait, Jésus, l’Ami véritable. Comme l’apôtre Paul, elle « peut tout en celui qui la rend forte » (Ph 4,13). Thérèse de Jésus est un nom qui porte un message en soi et indique la voie : ce qui est au centre de sa vie, c’est son amitié avec Jésus. Une amitié qu’elle nous enseigne comment cultiver. Sa vie illustre les fruits qu’elle produit. Le charisme thérésien, c’est l’amitié. Amitié avec Dieu, amitié avec les frères et sœurs en humanité, proches ou lointains.
Comme toute amitié, celle avec Jésus demande à être entretenue. Thérèse nous en donne un moyen : l’oraison silencieuse. Elle la définit ainsi : « une amitié intime, un entretien fréquent, seul à seul, avec celui dont nous nous savons aimés » (Vie, ch. 8,5). L’oraison n’est pas un moment où l’on se casse la tête, car Thérèse nous dit qu’« il ne s’agit pas de beaucoup penser, mais de beaucoup aimer » (Demeures, IV, ch. 1,7). C’est un temps pour être là, tel que l’on est, avec Jésus, dans la gratuité de la relation, source de toutes les relations. Lui parler, se taire aussi pour écouter. Bien souvent, je rencontre tout d’abord le bruit de mes pensées, de mes préoccupations, mais si je descends au-dessous des vagues superficielles, je peux, comme le prophète Elie à l’Horeb, entendre la voix du silence.
L’oraison est l’un des éléments mis en place par Thérèse lors de la réforme. Elle constitue la colonne de nos journées au Carmel, qui sont ponctuées par une heure d’oraison le matin et par une seconde heure le soir. Toute la journée, afin de continuer ce dialogue d’amitié, nous vivons dans un climat d’intériorité.

Amitié avec les sœurs
Cette amitié vécue avec Jésus doit se concrétiser en amitié entre les sœurs, au-delà des affinités personnelles. « Toutes doivent être amies, toutes doivent s’aimer et se vouloir du bien, toutes doivent s’entraider », désirait Thérèse (Chemin de perfection, ch. 4,7). Autrement dit, l’amitié avec Dieu ouvre aux autres. La solitude n’est pas l’isolement, et le silence n’est pas le mutisme. Thérèse ne voulait pas que ses sœurs soient “encapuchonnées” ! Par exemple, il faut parfois quitter l’oraison pour aider une sœur malade ou bien savoir « trouver Dieu au milieu des marmites » ! (Fondations, ch. 5,8)
Thérèse a voulu que les communautés de la réforme soient de petite taille - pas plus de vingt et une moniales - pour qu’il y règne un esprit familial. Chaque sœur est une pierre de fondation unique et précieuse pour l’édification de la communauté, qui repose sur la pierre angulaire, le Christ. Lors de la célébration de mes vœux solennels, le 4 octobre dernier, j’ai été accueillie dans la communauté en ces termes : « Mireille-Teresa, tu fais définitivement partie de l’Ordre du Carmel et de notre communauté. Désormais, tu as tout en commun avec nous. Dans la joie, nous pour suivons ensemble notre route à la suite de Jésus. Tu peux compter sur tes sœurs et elles comptent sur toi. »
En résumé, la vie et le message de Thérèse nous enseignent à être libres pour marcher. Marcher à la suite de Jésus, marcher ensemble avec ceux qui nous entourent, mais aussi avec et pour d’autres plus lointains (pas forcément par la distance, la périphérie pouvant être au seuil de notre porte).

Un choix prophétique
Le Carmel poursuit sa route dans une fidélité créatrice. En effet, les modalités extérieures se sont adaptées à notre époque, mais le fondement, le charisme thérésien demeure, car le désir qui a poussé hier des femmes et des hommes à rejoindre cette famille spirituelle reste semblable aujourd’hui : suivre le Christ. Aujourd’hui encore, des jeunes « aventurent leur vie » à la suite de l’Ami véritable.
Personnellement, je crois profondément que la vie en communauté est prophétique dans notre société où règne l’isolement, pour ne pas dire l’individualisme. Vivre ensemble à la suite de Jésus, alors que nous ne nous sommes pas choisies, que nous avons des âges et des cultures différents, est une aventure qui en vaut la peine, un chemin de croissance et de joie. Comme l’a dit notre pape François en cette année de la vie consacrée : « Partout où il y a des consacrés, il y a de la joie ! »
Un jour, c’est une phrase de son prédécesseur, Benoît XVI, qui m’a poussée en avant sur mon chemin de vie : « Le Christ n’enlève rien, il donne tout ! » Alors je taquine parfois les gens qui me demandent si ce n’est pas trop dur d’avoir laissé ceci ou cela, en leur ré - pondant : « Demandez-moi plutôt ce que j’ai reçu ! » Quand je pense au chemin parcouru depuis mon entrée au Carmel, je ne peux que rendre grâce. C’est vrai, le Seigneur donne au centuple et même davantage car il ne sait pas compter. L’Amour ne compte pas, il donne sans réserve. Comme Thérèse, j’aime dire à Jésus : « Mes affaires sont les tiennes et tes affaires sont les miennes ! »
En cette année où nous célébrons le cinquième centenaire de la naissance de Thérèse de Jésus, toute la famille carmélitaine est conviée à boire à la source de son charisme, mais aussi à offrir ce trésor à d’autres, car l’amitié est faite pour être partagée !

[1] • Thérèse d’Avila, Chemin de perfection (ch. 1,5).
[2] • www.carmel-lepaquier.com.
[3] • Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897), carmélite française, patronne des missions et docteur de l’Eglise.
[4] • Thérèse de l’Enfant-Jésus, Manuscrit autobiographique B, folio 3 verso.
[5] • Cette conversion n’est pas la seule de sa vie, mais certainement la plus marquante.

• A lire sur www.choisir.ch - Sœur Adeline Marc, Esprit et mission du Carmel in choisir, octobre 2008
• A lire sur www.lassalle-haus.org (en allemand), le dossier consacré à Thérèse d’Avila. Avec notamment un article du Père Brantschen sj.
• Le Centre de spiritualité jésuite de Bad Schönbrunn organisera en outre un séminaire, du 5 au 8 novembre 2015, intitulé Thérèse, un génie de l’amitié.

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