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lundi, 11 février 2019 13:30

Le pape vegan? Une campagne tendancieuse

Écrit par

Vaches© Pierre EmonetUn groupement d’origine américaine, Million Dollar Vegan, met le pape au défi de manger «vegan» pendant les quarante jours du Carême, qui commence le 6 mars prochain. Une vaste campagne internationale, relayée par plusieurs journaux, dont Libération en France, et plusieurs personnalités médiatiques, dont Brigitte Bardot, a été lancée le mercredi 6 février dernier pour faire pression sur le pape, juste un mois avant que ne commence le Carême. S’il accepte, le groupement susnommé versera un million de dollars aux œuvres de bienfaisance choisies par le pape. Que penser de l'idée et du procédé?

Le défi n’est pas difficile à relever. Manger «vegan», c’est s’abstenir de produits animaux: ni viande, ni œufs, ni tout autre aliment provenant d’un animal. Le défi est d’autant moins difficile à relever que le Carême est la période où, pour se préparer spirituellement à la fête de Pâque, les chrétiens réfrènent leurs passions pour la nourriture. Le vieux mot catholique d’abstinence veut justement dire qu’on s’abstient (de viande). De plus, limiter à quarante jours cette pratique, c’est montrer une conviction limitée, pour un mode de vie dont les initiateurs espèrent -pour peu qu’il soit généralisé- qu’il sauvera la planète.

Un défi triplement grotesque

Bien qu’il soit largement admis par les diététiciens que nous mangeons trop de viande, que la consommation de viande procède moins d’une nécessité biologique que d’un mimétisme sociologique, et bien qu’il soit avéré par les économistes que la production de viande est un gaspillage planétaire honteux de protéines végétales, ce défi est triplement grotesque. D’abord parce qu’il porte non pas sur une preuve à apporter de la pertinence des croyances du souverain pontife –dans le genre «prouvez-moi que votre foi chrétienne manifeste bien le souci écologique que vous professez»- mais sur une option culturelle légitime, certes, mais singulière. Pour reprendre la formule conventionnelle, l’option Vegan ne relève ni de la foi, ni des mœurs reçus par l’ensemble des fidèle de la communion catholique.

Ensuite, ce défi est ridicule parce qu’il couvre manifestement une opération de marketing au profit d’un style de vie porté par un mouvement qui veut récupérer le prestige pontifical du pape, prestige renforcé récemment par l’encyclique sur le développement humain intégral qui conjugue l’écologique, le social et le politique. Marketing d’autant plus audacieux que le pape est le symbole d’une religion qui se veut catholique, c’est-à-dire universelle, au service d’un aspect indispensable, l’alimentation, mais particulier, celle de l’être humain.

Enfin, ce défi est surtout grotesque parce qu’il témoigne d’un mépris pour les êtres humains qui, dans les marges de nos sociétés, peuvent attendre des secours ou des aides qu’il est odieux de conditionner à un geste publicitaire, fût-il celui d’un pape. Ce défi s’apparente à un odieux chantage.

Si les adeptes du manger vegan ont un tel souci du développement humain intégral pour tous, qui intègre le bien-être présent et le souci écologique de la planète, ils peuvent choisir eux-mêmes les œuvres de bienfaisance qui leurs paraissent les mieux à même de recevoir un million de dollars pour satisfaire leur objectif. Quant au pape, s’il est convaincu à titre personnel que le véganisme est une voie appropriée pour favoriser le développement humain intégral, qu’il s’abstienne sans attendre le million de dollars promis, durant le Carême (et au-delà, c’est dans la logique de la chose), de manger de la viande et des produits tirés des animaux. Mais surtout, qu’il n’en fasse pas état comme s’il était le modèle que les catholiques devraient imiter, à la suite de «tous les hommes de bonne volonté» parmi lesquels se rangent les adeptes du manger vegan. Certes, les chrétiens prennent peu à peu conscience des enjeux de l’alimentation humaine pour l’avenir de la planète. Mais cette bonne pratique ne suffit pas pour justifier l’annexion du pape à ce mode de vie simple.

Le sens des fidèles

Contrairement à ce que pourrait laisser croire les médias, l’Église catholique romaine ne tire pas ses dogmes et ses enseignements moraux du cerveau puissant de la hiérarchie, mais de ce que la tradition nomme joliment le sensus fideli (littéralement le sens des fidèles). Le dernier Concile l’a rappelé en soulignant que l’Église est le «peuple de Dieu», la hiérarchie étant seconde, au service du peuple. C’est la sensibilité des croyants, leur expérience personnelle porteuse de sens pour chacun d’eux, qui traduit la foi et les mœurs de l’Église. Les intellectuels (exégètes des textes bibliques, théologiens) formulent cette sensibilité des croyants dans un vocabulaire toujours perfectible, vocabulaire sujet à obsolescence permanente, et qui n’enferme jamais les croyants dans des expressions figées, mentales ou sociales, sauf à tomber dans un fondamentalisme aliénant.

Morale de cette histoire: lorsque le sensus fidelium, la sensibilité commune des croyants deviendra vegan, alors, mais alors seulement, le pape pourra anticiper sans arrière-pensée, et sans attendre de félicitations, le défi qui lui est lancé.


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