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dimanche, 26 novembre 2017 18:45

La poésie de la physique

Écrit par

Michel Mayor, septembre 2017 © Céline FossatiFaut-il le voir pour le croire? À cette question, l’astrophysicien comme le théologien répondent par la négative. L’un se base sur sa foi, l’autre sur les lois mathématiques et de la physique pour identifier le monde tel qu’il lui apparaît. Rencontre avec le professeur Michel Mayor qui, avec Didier Queloz, a découvert la première planète hors de notre système solaire, un astre invisible à l’œil nu et pourtant bien réel, 51 Pegase b. - Céline Fossati, Begnins, journaliste choisir

Astrophysicien suisse de l’Observatoire de Genève, professeur honoraire del’Université de Genève, MichelMayor a reçu en octobre 2017, entre autres distinctions, les insignes d’Officier del’Ordre national de la légion d’honneur. Il est membre de l’Académie française des sciences.

S’ils ne peuvent pas les voir, ils sont pourtant des centaines dans le monde à les chercher aux quatre coins de l’Univers, fascinés par la perspective de faire avancer le savoir en détectant des planètes situées à des années-lumière. Comment s’est formé notre Univers ? de quoi est-il composé ? comment évolue-t-il ? la vie est-elle présente ailleurs que sur Terre ? Ces questions animent le professeur Mayor depuis son enfance et continuent à le passionner.

Michel Mayor : « Bien que cela soit une très ancienne question, on ne savait pas s’il existait des systèmes planétaires autour d’autres étoiles que notre soleil. Depuis la découverte de 51 Pegase b, des milliers d’exoplanètes ont été identifiées. À elle seule, notre équipe de l’Observatoire de Genève en a découvert plusieurs centaines. Et à l’échelle mondiale, on approche les 4000 et cela augmente de jour en jour. C’est un nouveau domaine extrêmement riche et qui apporte de fascinantes questions. »

Céline Fossati : Votre rêve, quand vous avez débuté votre carrière, était-il mu par les mêmes convictions que celles d’Épicure (341-270 av. J.-C.) ?[1]

Michel Mayor : « L’idée que si la nature est formée d’atomes, il n’y a aucune raison qu’elle ait épuisé ses possibilités à ne former qu’un seul monde est géniale. Mais au IIIe siècle avant Jésus-Christ, les philosophes n’avaient aucune possibilité de prouver cette affirmation. Contrairement aux idées reçues, cette vision d’autres mondes dans le cosmos a perduré pendant les deux millénaires suivants. De nombreux philosophes du Moyen Âge et de la Renaissance ont discuté de cette question.

» Au début du XXe siècle, les astronomes pensaient que s’il existait d’autres systèmes planétaires dans la galaxie, ils devaient être très peu nombreux. Ils s’appuyaient sur l’hypothèse erronée que les nébuleuses à l’origine des planètes étaient formées de matière arrachée à une étoile par le passage d’un autre astre à proximité. Or les probabilités que cela arrive sont infimes en dépit du nombre énorme d’étoiles dans la galaxie. À la fin du XXe siècle, le télescope spatial Hubble a pu observer les nébuleuses qui entourent toutes les étoiles peu après leur formation. Ce sont de petits disques de gaz et de poussières, des sous-produits inéluctables de la formation des étoiles elles-mêmes. Il était par contre toujours impossible d’affirmer la présence de pla--nètes autour des étoiles. Jusqu’au jour où mon équipe et moi avons construit un instrument à la sensibilité suffisante pour nous permettre de détecter non pas directement des planètes, mais de prouver indirectement leur présence. »

À défaut de voir, qu’avez-vous constaté ?

« De toutes petites variations de vitesse. Si la vitesse d’une étoile oscille - celle-ci venant vers vous puis s’éloignant périodiquement - ce n’est pas sans raison. C’est la signature de l’influence d’un corps qui lui tourne autour. Et après quelques calculs, on s’est rendu compte que le perturbateur avait la masse d’une planète. Et c’est ainsi qu’en automne 1995, nous avons détecté la première exoplanète. Depuis ce jour, des centaines de scientifiques se sont engagés dans cette voie, dont une quarantaine à l’Observatoire de Genève. »

À part le fait de trouver et répertorier des millions voire des milliards d’exoplanètes, quel mystère cherche-t-on à percer en les détectant ?

« Deux grandes questions se cachent derrières ces recherches. L’une concerne les astrophysiciens et consiste à comprendre les mécanismes de formation des planètes et des systèmes planétaires. Une question fondamentale que la philosophie s’est aussi posée. La seconde émerveille et fait rêver des milliers de chercheurs : est-ce qu’il y a de la vie ailleurs dans l’Univers que sur notre Terre ? Va-t-on trouver des planètes dites habitables, où les conditions sont favorables au développement d’une chimie compliquée à la base de la vie ? Et si ces conditions sont réunies, est-ce qu’on aura une chance de concevoir des appareils pour détecter cette vie ? Il n’est pas question de s’y rendre pour le vérifier évidemment, les distances étant considérables. Ce que cherchent les scientifiques, ce sont des planètes ni trop proches ni trop éloignées de leur étoile, où la température au sol permet de trouver de l’eau sous forme liquide, condition probablement requise pour l’émergence de vie. »

Du moins d’une forme de vie comme la nôtre ?

« De toute forme de vie. Des conditions physiques minimum doivent être respectées pour que naisse la vie, ce petit organisme qui échange de l’énergie avec son environnement tout en sachant s’en protéger. La vie est une usine chimique très compliquée, qui a pour caractéristique de générer de temps en temps une copie d’elle-même, sa fille, sa descendance. Et, chose extraordinaire, elle lui transmet l’information nécessaire pour fonctionner et pour se reproduire. Comment cette information se transfère-t-elle ? Par le code génétique. On n’a pas trouvé d’autre manière à ce jour. Ce code génétique est une gigantesque chaîne d’ato-mes. Cette chaîne est requise pour la transmission de l’information propre à la vie d’une génération à l’autre. Une température au-delà de 120 degrés détruit cette chaîne et la vie. Au-dessous de -20 degrés, la chimie se ralentit trop. Une température entre -20 et +120 degrés, celle grosso modo de l’eau liquide, est requise pour assurer la perpétuation de la vie. »

Si ce processus est si immuable, est-ce que la forme de vie l’est aussi ?

« Ça, on ne le sait pas. Et on n'a aucun moyen de le dire actuellement. Il y a plus de 500 acides aminés disponibles et le code génétique en utilise vingt… Pourquoi ces vingt ? Pourrait-il en utiliser d’autres ? Une des grandes victoires du XXe siècle est d’avoir compris la nucléosynthèse, soit l’origine des éléments chimiques, et ce n’est pas un détail. Il y a partout dans l’Univers des étoiles qui fonctionnent selon les mêmes lois de la physique, qui génèrent les mêmes corps chimiques. La science-fiction peut inventer des romans merveilleux sans ce soucier de leur véracité scientifique, mais au niveau de la recherche, les contraintes données par la physique sont bien réelles. »

Vous dites que la question aujourd’hui n’est plus si, mais quand détecterons-nous de la vie sur une autre planète que la nôtre.

« Des planètes potentiellement habitables, on en connaît déjà des quantités, mais elles sont à proximité d’une étoile qui est un million, voire un milliard de fois plus lumineuse qu’elles. Pour pouvoir analyser la composition chimique d’une planète, il faudrait pouvoir étein-dre la lumière de son soleil qui nous éblouit. On est en train de construire des instruments visant à ‹ éteindre › ces étoiles optiquement. Mais c’est extrêmement complexe. »

Ce qui veut dire que pour savoir, il faut voir ?

« Non, un faisceau de conséquences indirectes équivaut à ‹ voir ›. Qu’est-ce que voir signifie exactement ? Détecter les conséquences indirectes de la présence d’une planète, ce n’est pas la voir comme on voit la Lune. Lorsque nous avons détecté la première exoplanète, nous avons pu concrètement mesurer les effets qu’elle avait sur le mouvement de son étoile et en déduire la masse de la planète. Quelques années plus tard, nous avons vu la luminosité d’une étoile, ayant elle aussi une planète, baisser périodiquement – une sorte de mini éclipse appelée transit. Cette baisse de luminosité nous a permis de mesurer la dimension de l’exoplanète. À partir de là, nous avons pu déduire la densité moyenne de l’objet. Cette mesure confirme qu’il s’agit bien d’une planète gazeuse très proche de son étoile, à la densité moyenne inférieure à celle de Saturne. »

Qu’est-ce qui vous passionne tant dans la recherche d’objets invisibles ?

« Étudier les composants du cosmos et l’évolution de l’Univers comme un tout, c’est là tout l’intérêt de l’astrophysique. Une énorme partie de la recherche scientifique est confrontée à la même énigme. On ne peut pas voir les particules élémentaires - de l’électron, du proton -, on ne peut que mesurer les conséquences de leur présence. »

Les concepts théoriques validés par l’expérience seraient émotionnellement plus forts pour un astrophysicien que le fait de voir concrètement l’objet de ses recherches ?

« Je crois, oui. Ce qui est fabuleux, c’est que le langage mathématique et la physique permettent de comprendre la nature et l’Univers. »

Les recherches de vie extraterrestre et l’avancée des connaissances de l’Univers plaident-elles en faveur du Dieu créateur ou sont-elles propre à éteindre la foi ?

« Je serais tenté de dire ni l’un ni l’autre. En ce sens que nous, scientifiques, décrivons l’Univers tel qu’il est. Son interprétation philosophique et théologique est une tout autre chose. On trouve parmi les scientifiques des gens qui sont des croyants engagés et d’autres qui sont de farouches athées. Et je n’ai jamais entendu ici, à l’Observatoire de Genève, que ces questions aient posé un problème de conflit intérieur à qui que ce soit. »

Pour vous, il y aurait autant de poésie dans la théorie d’Einstein que dans les vers de Baudelaire ?

« Oui, absolument. Pour moi les équations de certains domaines de la physique sont aussi belles que de la poésie. La capacité de l’esprit humain à élaborer des théories qui mènent à cette compréhension de l’Univers est admirable. C’est miraculeux. Il y a une sorte de vertige à se trouver face à la compréhension d’un phénomène. Je suis sûr que les physiciens des particules ont le même émerveillement quand ils construisent un modèle pour expliquer la présence des particules que l’astrophysicien face à la théorie de la relativité et ses conséquences. »

Pensez-vous que la théologie et la philosophie puissent alimenter les questionnements de la science ?

« Il y a un domaine où sciences, religions et philosophies se rejoignent, c’est celui de l’éthique. La réflexion éthique comme partenaire obligé de la science est évidente. Je pense notamment aux questions liées à la recherche médicale ou l’application militaire des découvertes… »

Elle le sera aussi en astronomie quand l’homme décidera de poser son empreinte sur d’autres mondes ?

« Heureusement, en ce qui concerne les exoplanètes, elles sont si éloignées qu’il n’est pas imaginable d’y poser un pied un jour. Quant à craindre l’invasion d’êtres doués d’intelligence venus de l’espace … je n’y crois pas. Qu’il puisse y avoir dans les profondeurs de Mars des prémices de vie, des organismes élémentaires qui se soient développés, qu’on puisse les prélever et les analyser serait déjà fabuleux. Et je suis persuadé que la question de la pluralité des organismes vivants sera l’un des grands domaines de recherche du futur, avec des missions spatiales qui iront explorer sous la banquise d’Europa (satellite de Jupiter) ou dans les jets de vapeur d’Encelade (satellite de la planète Saturne).

» Je conclurais ainsi. Par le passé, l’homme était effrayé par nombre de phénomènes naturels : les éclairs lancés par les dieux, les comètes signes de mauvais présages, etc. La science a libéré l’esprit de l’homme de ces craintes. Et notre relation à l’Univers s’en trouve apaisée. »

 [1] Dans une fameuse lettre à Hérodote, Épicure écrit : « La quantité d’atomes propres à servir d’éléments ou, autrement dit, de causes à un monde, ne peut être épuisée par la constitution d’un monde unique, ni par celle d’un nombre fini de mondes, qu’il s’agisse d’ailleurs de tous les mondes semblables au nôtre ou de tous les mondes différents. Il n’y a donc rien qui empêche l’existence d’une infinité de mondes. » 

 

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