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lundi, 10 septembre 2018 11:09

Un coach pour arrêter les coachs

Motivating woman to keep exercising © Pressmaster/FotoliaDepuis que j’écris des chroniques pour choisir, je n’ai jamais réussi à les rendre à temps. Parfois, j’attends que le délai soit dépassé pour commencer ! Parfois, il faut que je reçoive un mail inquiet de la rédaction pour m’y mettre enfin. Et j’invente des excuses grotesques, telles que: «Je me suis fait embaucher chez Securitas.» Du coup, pour cette chronique qui doit aborder la question des coachs personnels, je me suis adressé … à un coach personnel.

Eugène Meiltz, de son nom de baptême, est un écrivain vaudois, parolier et animateur d’ateliers d’écriture. Son dernier roman, Ganda, vient de paraître (Genève, Slatkine 2018, 172 p.)  et est recensé sur www.choisir.ch.

Son bureau est blanc comme une page. Une bibliothèque en noyer présentant des bibelots ramenés d’Asie occupe le mur du fond. Un vaste bureau en palissandre mange la moitié de l’espace.

- Je procrastine, docteur.
- Je ne suis pas docteur.
- Je procrastine, monsieur.
- Je suis là pour vous aider. Visionnez cette vidéo gratuite. Puis nous aurons un entretien. Il sera également gratuit.
- Wow ! ça fait beaucoup de choses gratuites.
- Et ensuite ? demandé-je quand même.
- Je ne suis pas si cher que ça.
- Ah bon ?
- Par contre, je vous préviens que je ne suis pas remboursé. C’est donc un cadeau que vous vous faites à vous-même.

J'avais d'autres idées de cadeaux à moi-même en tête. Mais bon, je regarde quand même sa vidéo à zéro franc sur l'iPad posé sur le bureau.

J’apprends que je passe trop de temps sur les réseaux sociaux et qu’il existe des applications pour ne plus utiliser les applications sur mon smartphone. Puis je dois dresser une liste de choses à faire par ordre de priorité. Puis je dois démarrer ma journée en commençant par ce qu’il y a de plus difficile ou urgent. Quatrième étape: développer l’estime de soi. Du genre: certes, j’ai cinq semaines de retard pour ma déclaration d’impôts, mais j’ai descendu la poubelle ce matin! Et le cinquième point consiste à se libérer de ses peurs personnelles. Bref, si je ne remonte pas à ma petite enfance, je n’arriverai jamais à faire le ménage.

Le coach prend la parole pour m’expliquer de sa belle voix calme qu’avant de devenir coach, il a lui-même été confronté à la procrastination. J’imagine ce malheureux incapable de terminer son master à l’université ou de finir un mandat à temps. Un matin, il se réveille avec une idée géniale: aider les autres à ne plus procrastiner.

Le lendemain, 5h04. Le réveil sonne. Une minute plus tard (si!), je commence à écrire ma chronique. Seulement voilà, mon garçon de dix mois se réveille vingt minutes plus tard. Catastrophe! Il me faut un coach du sommeil du bébé! Mon épouse et moi en trouvons un qui pratique sur Skype. «En dix leçons, le bébé passera une nuit complète», nous affirme-t-il. Parmi de nombreux conseils, il nous apprend que le bébé a besoin de l’obscurité totale pour s’endormir. Et la nuit complète doit persister jusqu’à son réveil. Résultat des courses: on vit volets fermés plus de douze heures par jour. Je deviens dingue. Mais ça me donne de la matière pour ma chronique sur les coachs…

Finalement, nos engueulades avec mon épouse nous poussent à consulter un coach pour parents épuisés. Qui nous apprend qu’il faut commencer la journée par des câlins. Oui, mais mon coach anti procrastination m’a demandé de commencer ma journée en me débarrassant des tâches les plus embêtantes. Je ne peux quand même pas considérer que faire des câlins soit un embêtement. Y a-t-il un coach pour nous aider à vivre avec nos coachs? Ou inversement, à l’exemple de ces applications sur smartphones, qui nous aident à nous passer des applications chronophages? Existe-il un coach pour arrêter les coachs?

Trêve de plaisanterie! L'époque est aux coachs. Humains ou technologiques. Désormais Google Home nous aide pour tout.

L’assistant personnel en forme de bougie blanche coupée en biseau trône sur la table basse du salon. Il répond à des questions aussi basiques que «Combien de temps pour cuire un poulet?»; il envoie les mails qu’on lui dicte; il diffuse des vidéos de chiots sur la télévision si telle est notre envie. Si j’installe cette engeance dans mon salon, dès que mon garçon saura parler, il lui ordonnera de lui passer les Télétubbies en boucle. Puis il s’habituera à sa présence et durant les quatre-vingt prochaines années, il se fera aider pour allumer la lumière à la cuisine ou calculer 120 divisés par 4. Google Homme en somme. Une vie assistée.

Pour revenir au présent, je me suis surpris à programmer le GPS de ma voiture pour me faire guider dans les 500 derniers mètres d’un trajet, alors que les 90% du parcours m’étaient connus. J’étais en train de rouler dans ma propre ville en écoutant les conseils de mon GPS, tout en ronchonnant: «Mais il est débile! Pourquoi il me conseille de prendre à droite, alors que si je continue tout droit et qu’ensuite je prends à gauche, j’évite deux feux.» Je suis un meilleur spécialiste que mon spécialiste, mais je l’écoute quand même!

La grande question, c'est pourquoi faut-il faire appel à un spécialiste? Pas besoin d'être diplômé en conseils avisés pour donner des conseils avisés.

Je me souviens que lors de l’invasion (grotesque) de l’Irak par les Américains et leurs alliés en 2003, un journaliste de CNN a interviewé, un peu par hasard, un caporal israélien:
- Que pensez-vous de l’invasion qui se prépare ? Est-ce que la chute de Saddam Hussein stabilisera la région?
- Vous savez, nous, la Guerre, on l’a gagnée en Six Jours. Mais la Paix, on lui court derrière depuis quarante ans…

Le sous-officier a parfaitement décrit la décennie catastrophique qui se préparait. Voilà où je veux en venir: un petit caporal qui touche sa solde de petit caporal dispense de meilleurs conseils que l’armada de spécialistes rémunérés de millions de dollars, censés coacher le président américain dans ses prises de décisions.

Cela dit, les coachs n’ont pas attendu le XXIe siècle pour se planter. Un des échecs les plus lamentables, c’est celui d’Aristote, nommé précepteur d’Alexandre. Franchement, pour un philosophe qui hissait la tempérance au rang de vertu essentielle, voir son fougueux élève incapable de mettre un terme à ses conquêtes et galoper jusqu’en Afghanistan, puis en Inde, c’est plutôt moche. D’ailleurs, par esprit de contradiction, si Alexandre avait eu comme mentor un grand général spartiate, il serait sûrement devenu philosophe…

À ce titre, mes parents se sont révélés de très bons coachs anti tabac. Ils fumaient du matin au soir. J’ai passé ma jeunesse dans un nuage de fumée. Du coup, à l’adolescence, ni mon frère ni moi n’avons touché la cigarette. «Quels pédagogues nous étions quand nous n’avions pas le souci de la pédagogie!» dit Daniel Pennac dans son essai Comme un roman.[1]

Et puis, on peut être créatif dans le choix de son coach. Dans une interview au Temps, Stéphane Eicher raconte le secret de fabrication de son 13e album, L’envolée. Près du studio d’enregistrement se trouvait une maison avec un chien. Dès que les musiciens commençaient à jouer fort, le chien aboyait. Au lieu de sonner à la porte du voisin pour lui demander de régler la situation, Stephan Eicher a prié ses musiciens de jouer moins fort. Du coup, tous les morceaux sont plus doux, plus calmes, plus retenus. Et c’est bien l’originalité de ce 13e album. Quel directeur artistique aurait osé demander à des musiciens de simplement jouer moins fort? C’est le génie de Stephan Eicher de se choisir comme coach le chien du voisin!

[1] Daniel Pennac, Comme un roman, Paris, Gallimard 1992, 198 p.

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