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dimanche, 06 décembre 2009 11:00

La trêve des confiseurs

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La période de Noël est propice à la suspension des hostilités : quand la grève est reportée au-delà des fêtes, on appelle ça la trêve des confiseurs. Dans la nuit de Noël 1914, dans un petit coin perdu sur le front des combats, les canons se sont tus pendant quelques heures entre les armées allemande et française figées dans la boue des tranchées. Dans les familles aussi, Noël fait oublier un instant les bêtises des enfants et les dérèglements des parents. A Noël, on se sent le coeur plus généreux ; le commerce en profite, l'Eglise aussi : « Les curés sont très forts, remarquait un ami, car ils ont réussi à coller une signification chrétienne sur la fête de Noël ! »

Quoi qu'il en reste de la coloration religieuse de Noël et quel que soit le factice de tels sentiments convoqués chaque année à la même date, le fait est qu'à Noël, le ciel semble à portée de la main. Le ciel, c'est-à-dire la paix, la justice, la santé, la tendresse, une sorte de plénitude qui fait oublier les égratignures, les blessures et la fatigue de la vie.

Dans la catholicité, ce ciel sur la terre a son signe, le sacerdoce. Dans l'orthodoxie, c'est l'icône, comme nous le rappelle à Martigny l'exposition de la Fondation Gianadda.[1] Malheureusement, icône ou sacerdoce, la route de l'universel est barrée d'une croix : l'horizon humain. Le prévôt Claude Ducarroz en souligne l'enjeu dans cette même livraison de choisir. Les anges dans nos campagnes sont impalpables, les joies et la souffrance humaines, si. C'est le sens de la dernière encyclique sociale de Benoît XVI, Caritas in Veritate.[2] Trouverons-nous alors le chemin du ciel dans le réseau électronique mondial, grâce à un renforcement des liens sociaux et de la reconnaissance, puisque Internet permet depuis peu des relations non plus anonymes ou cachées sous des pseudonymes ou des figures d'emprunt, mais plus immédiatement visibles ? [3] Cela n'a rien d'évident. Car Facebook & C° ressemblent à ces livres blancs proposés par certaines autorités politiques : n'importe qui peut y inscrire ses désirs et son vécu, mais personne n'a la garantie qu'il sera lu.

Noël, c'est le rêve d'un commencement recommencé à l'envi, comme le spéculateur qui peut liquider à tout moment sa position pour investir dans des entreprises inédites. La connaissance des origines de l'Univers nous donne cette impression enivrante de pouvoir tout recommencer, puisque la science des commencements semble à notre portée.[4] Illusion que tout cela. L'universel du Jésus de la crèche n'a pas grand-chose à voir avec le Grand Tout contenu en germe dans les origines. Comme le rappelle François Mauriac, mis en couleur par Gérard Joulié, le chrétien n'est pas au milieu de nulle part, il a une adresse où on peut le toucher, au sens postal et psychologique du terme. Bref, il est vulnérable. Comme l'enfant de la crèche. Certains aimeraient que Jésus ne fût pas Juif, qu'il soit né dans un monde moins marqué par l'obscurantisme, qu'il eût, pourquoi pas, connaissance des mathématiques modernes et des secrets de l'atome, en un mot qu'il ressemble à l'honnête homme qu'ils contemplent lorsqu'ils se regardent dans le miroir de l'idéal.

En réalité, Jésus fut soumis aux lois imparfaites de la société et de la religion de son temps. Le chrétien n'est pas en meilleure posture. En témoigne la relation de Teilhard avec Lucile Swan : scrupuleusement fidèle à son voeu de chasteté, Teilhard fit souffrir son amie, et il en fut conscient, cherchant à la conduire (en vain) sur une voie spirituelle apaisante.[5] Respectueux des interdits de son Eglise touchant la publication de ses idées, Teilhard n'en chercha pas moins jusqu'au bout à diffuser avec pugnacité ce que lui suggérait une science pétrie de conscience. En cela, il vécut le tragique de l'enfant de Bethléem, qui ne toucha le ciel que par ce qui lui manqua sur la terre, des institutions justes.

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