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mardi, 06 mars 2007 01:00

Quand les héros tombent

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En Pologne, comme dans la plupart des anciens pays communistes, la chasse aux prêtres, anciens collaborateurs du régime communiste est ouverte (cf. les pages 9-12 de ce numéro). Si l'affaire Wielgus, du nom de l'évêque nommé primat de Pologne et retiré au dernier moment, constitue un cas d'espèce, elle n'est que la pointe extrême de l'iceberg, le signe d'un malaise plus large.

Un peu partout, des scandales, vrais ou faux, éclaboussent le clergé et suscitent des vocations de justiciers. Ce zèle purificateur ne va pas sans ambiguïté. Dans les pays de l'Est, les plus acharnés à débusquer les anciens agents du parti sont souvent les mêmes qui les ont autrefois recrutés à force de chantage. En exerçant des pressions politiques, économiques ou psychologiques sur des hommes faibles mais qui n'étaient pas pires que d'autres, ils ont réussi à noyauter un clergé qui ne comptait pas que des braves dans ses rangs. En Tchéquie, en Slovaquie, en Pologne, en Roumanie et dans d'autres pays encore, les commissions d'enquête découvrent que ceux qui ont flanché n'étaient de loin pas une exception. Heureux de trouver aujourd'hui des boucs émissaires, les anciens cadres du parti se refont une virginité en poursuivant leurs victimes d'autrefois. Etrange purification de la mémoire.

Plus proches de nous, des prêtres, épuisés ou déçus, perdent pied et remettent en cause des choix de vie erronés, quand ils ne prennent pas le risque d'une erreur. Tournant le dos à leurs engagements, ils s'en vont vers un autre destin, pour assumer des tâches à leurs yeux plus gratifiantes et plus utiles. Les héros tombent et les fidèles sont déstabilisés. Adulés hier, ils sont aujourd'hui sévèrement jugés, parfois avec raison, souvent injustement. Celui qui incarnait un idéal mobilisateur, dont la vie rappelait les exigences de l'Evangile, apparaît subitement comme un être fragile, en butte aux mêmes erreurs que celles qui ruinent l'image idéale que chacun entretient de soi-même. Sanctionner la faiblesse et le manque d'intégrité du modèle permet d'exorciser la déception du propre échec. Non moins étrange purification du désir inaccompli.

Monsieur le curé n'est plus ce qu'il était ; il a perdu son auréole. Qui la lui rendra, sinon ses propres ouailles ? Homme du sacré, sa tâche essentielle consiste à conduire la communauté des croyants, à présider la divine liturgie, à distribuer les sacrements et à proclamer la Parole. Pour survivre et « travailler dans la dignité », il a besoin du respect et du soutien des fidèles. Il a surtout besoin d'être reconnu comme le témoin d'un autre monde, qui annonce une Parole qui vient d'ailleurs, droite et simple, amie mais pas complice, qui éclaire et dénonce, accuse et pardonne, encourage et motive. La Parole du Christ « sans glose », dirait le Pauvre d'Assise. Pour être crédible, la Parole dont il est le témoin doit prendre corps en lui ; on exige qu'il croie ce qu'il dit, qu'il enseigne ce qu'il croit et qu'il vive ce qu'il enseigne. Sa vocation, sa vie hors du commun, son « métier » n'ont de sens que dans un environnement de foi. Dans la mesure où ce biotope nourricier se détériore, le prêtre se trouve fragilisé et exposé à toutes les dérives.

Aujourd'hui, le climat dans lequel vit et travaille le prêtre l'agresse plus qu'il ne le soutient. L'horizon de la foi se rétrécit comme une peau de chagrin et l'esprit communautaire est balayé par le tsunami individualiste. Heureux encore si, dans quelques grandes occasions, un geste religieux fait partie du paysage régional comme le reliquat d'une bonne vieille tradition. Et ce ne sont pas les raidissements autoritaires des nouveaux clercs pour se hisser sur le piédestal qui y changeront quelque chose. Faut-il alors s'étonner si l'homme du sacré, l'homme pour les autres se trouve de plus en plus ignoré, parfois méprisé, et ses services de moins en moins sollicités ? On veut bien encore le reconnaître au nom d'une compétence sociale ou scientifique, comme animateur, assistant social ou conseiller, mais ces palliatifs sociaux ou professionnels ne sauraient redonner du sens à sa vie ; tout au plus sauveront-ils une honorabilité de surface, sans nourrir l'intérieur. Se scandaliser des faiblesses du clergé et les dénoncer, sans s'engager contre la détérioration du climat social nécessaire à l'éclosion et à la préservation de sa vocation, relève de l'hypocrisie.

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