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dimanche, 06 avril 2008 02:00

L'hospitalité du visage

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Les ados accros à la chirurgie esthétique, titrait la Tribune de Genève du 9-10 février 2008, décrivant dans un article l'explosion de cette pratique en Suisse, ainsi que ses illusions et déceptions. Le formatage du corps aux canons de la beauté plastique contemporaine, l'idéalisation d'un corps objet qui devient corps écran masquant un mal-être existentiel, et la volonté de donner une image de soi sans failles conduisent des jeunes à transformer leur apparence corporelle. Par une opération chirurgicale, ils espèrent transformer leur rapport à eux-mêmes, grâce à la sensation nouvelle que leur image donnera, en se mirant dans les regards admiratifs que leur nouvelle beauté plastique provoquera. Correspondant enfin aux exigences esthétiques imposées par notre monde, ils attendent en retour une reconnaissance nouvelle de leur identité. Derrière ces pratiques - qui nécessitent des sacrifices financiers, de convalescence, etc. - se cache une quête profonde d'identité, indissociable d'une reconnaissance sociale.

Certaines de ces opérations chirurgicales touchent le visage, lieu autrement sensible de l'identité personnelle. En effet, celui-ci exprime et rend visible l'unicité de la personne, son identité, en lui donnant d'être pleinement intégrée dans l'humanité. A contrario, être défiguré induit une souffrance physique et psychique, ainsi que des répercussions sociales allant jusqu'à l'exclusion et qui rejaillissent sur la perception de l'identité personnelle. Apparaître comme un monstre, n'être reconnu qu'en étant montré du doigt, provoque ou renforce des brèches psychiques que chacun, chacune est appelé à surmonter comme il le peut. [1]

De l'imaginaire illusoire d'un corps parfaitement ajusté aux exigences d'une société vouée à l'apparence, à la dure réalité de la construction d'une identité par une personne atteinte dans la partie la plus identitaire de son corps, c'est toujours le même besoin d'hospitalité qui demande à être comblé. Une hospitalité qui se manifeste dans l'accueil inconditionnel de l'altérité d'autrui, quelle que soit son « étrangeté » - physique, psychique, sociale, raciale, culturelle, religieuse. Là se reconnaît la véritable humanité. Et ce n'est pas le moindre mérite de l'article de A. A. Valdès [2] que de nous rappeler que le péché de Sodome ne réside pas dans l'homosexualité de ses habitants mais, précisément, dans leur refus d'accueillir l'étranger.

L'hospitalité est toujours une expérience qui, lorsqu'elle est vécue en vérité, ouvre à l'accueil d'un ailleurs : « Le visage nous convoque, il nous saisit : il a une signification éthique. Il est fragile, vulnérable et en même temps nous désarme, nous frappe à bout portant. Le paradoxe du visage, c'est que sa force d'interpellation émane de sa faiblesse même. C'est la force de sa fragilité. Sa puissance est une puissance qui vient d'ailleurs. » [3] Ne surgirait-elle pas de la Croix? N'est-elle pas la puissance spécifique et paradoxale du Ressuscité ? Comme dans la divine liturgie orthodoxe où l'icône du visage du Christ nous fait rejoindre, au-delà des représentations, Sa Présence, l'hospitalité donnée au visage d'autrui nous introduit à une puissance de vie, à un bonheur inespéré d'exister. L'expérience de Taizé, encore fraîche dans nos mémoires, est là pour nous le rappeler.

Le Ressuscité, identifié au Serviteur souffrant et défiguré, est reconnu par ses disciples grâce à cette hospitalité venue d'ailleurs, signe que la Résurrection est plus forte que la mort. Ses multiples apparitions les surprennent et les invitent à dépasser leurs images du Messie. Sur le chemin d'Emmaüs, ils ne le reconnaissent que lorsqu'Il partage le pain avec eux. Paradoxalement, Sa Présence hospitalière se révèle dans Sa disparition et se fait d'autant plus vive qu'ils sont appelés à en témoigner. Elle les ouvre à une nouvelle manière d'habiter le monde.

Cette ouverture d'un monde nouveau au coeur du nôtre donne toujours une nouvelle identité à ceux qui se laissent toucher par la Présence libératrice. L'Hospitalité n'impose rien ; elle ne peut que se proposer ! Transfigurés et invités à pratiquer « l'hospitalité du visage », ceux qui se reconnaissent vivre de l'Esprit du Ressuscité ont trouvé, par-delà les apparences, leur vraie patrie.

1 - Voir Alexandre Dubuis, Défigurations, pp. 23-26 de ce numéro.

2 - Aux pp. 13-17 de ce numéro.

3 - In Pierre Le Coz, Greffer un nouveau visage, p. 22 de ce numéro.

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