La Congrégation pour la doctrine de la foi a publié dernièrement une Notification sur les oeuvres du Père Jon Sobrino, un jésuite, théologien de la libération connu et reconnu, docteur honoris causa de l'Université de Münster, rescapé du massacre des jésuites de El Salvador en novembre 1989. La mesure a surpris. De fait, il ne s'agit ni d'une condamnation ni d'une sanction, mais simplement de relever dans ses écrits des imprécisions, des interprétations théologiques et des opinions estimées dangereuses ou incomplètes concernant la divinité du Christ et qui pourraient déconcerter les gens simples. La Compagnie de Jésus soutient le Père Sobrino et fait remarquer que les citations incriminées peuvent être interprétées dans un sens contraire à celui de l'auteur... Même par les censeurs ! Le porte-parole du Saint-Siège a reconnu que le théologien, qui vit sa foi au milieu d'un peuple confronté à une situation dramatique, se trouve naturellement en profonde communion avec l'homme Jésus. Rien d'étonnant donc s'il bâtit sa théologie à partir de l'humanité du Christ, pour conclure à sa divinité.[1] Si le Vatican n'a pas prononcé de sanctions contre Sobrino, c'est l'archevêque de San Salvador, Mgr Sáenz Lacalle, un membre de l'Opus Dei, qui, dans un premier temps, l'a interdit d'enseignement et de publication, avant de se rétracter du bout des lèvres. A travers Jon Sobrino, c'est la théologie de la libération qui est visée, comme si Benoît XVI voulait achever l'oeuvre du cardinal Ratzinger à la veille de l'assemblée de l'épiscopat latino-américain, au Brésil, en mai prochain.
L'intention de la Congrégation romaine est claire : pour veiller à l'intégrité de la foi catholique et protéger les fidèles contre toute déviation, elle veut leur offrir des critères sûrs, tirés de la doctrine de l'Eglise. Une préoccupation au-dessus de tout soupçon, qui devrait rassurer chaque bon catholique. Et pourtant, les fidèles ont quelques raisons de s'inquiéter : la vigilance de la Congrégation semble accuser des signes de faiblesse. Un évêque de la curie romaine, Mgr Luigi de Magistris, ancien grand pénitencier au Vatican, n'a-t-il pas fait récemment le voyage de Courtalain (Eure-et-Loire) pour ordonner deux prêtres qui ont effectué l'essentiel de leurs études à Ecône ?
Ces jeunes, formés par des professeurs qui ont fait le choix d'une communauté schismatique et que des directeurs spirituels fidèles à l'idéal du fondateur ont accompagnés sur le chemin du sacerdoce, ne représenteraient-ils donc aucun danger pour le bon peuple qui leur sera confié ? Durant les longues années de leur formation, ces futurs pasteurs ont appris à interpréter l'enseignement de l'Eglise à la lumière d'une ecclésiologie de rupture ; le rejet du concile Vatican II, de son enseignement sur la liberté religieuse et l'oecuménisme font partie du credo de leurs formateurs ; une tradition sclérosée, mêlée de relents maurassiens, leur a servi de référence identitaire. Il est à craindre que leur pastorale ne déconcerte les fidèles et ne représente un danger pour la communion ecclésiale. Peut-être ces jeunes prêtres ont-ils subi une cure de désintoxication avant d'accéder aux ordres ; l'avenir dira si elle fut efficace.
La clémence envers les traditionalistes qui ont divisé la communauté catholique jusqu'au schisme n'a d'égale que la sévérité envers les évêques et les théologiens qui explorent des chemins d'évangélisation, sans rompre avec l'Eglise. Ceux-ci n'ont eu que le tort de chercher des outres nouvelles pour le vin nouveau, ceux-là se sont situés en dehors de la communion ecclésiale. Il y a, certes, plusieurs demeures dans la maison du Père et il y aura toujours de la place pour l'enfant prodigue de retour. Il est tout de même permis de souhaiter un peu plus de justice dans la manière de traiter les personnes. Par-delà le manque d'équité, cette différence de régime n'est peut-être que la résurgence du bras-de-fer qui, durant le concile, a opposé la curie à la majorité conciliaire. Les signes qui se multiplient depuis quelques années sont trop nombreux pour qu'il ne soit pas raisonnable de le supposer.
1 - Déclaration du 14 mars 2007, rapportée par Radio-Vatican.