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mercredi, 06 juin 2007 02:00

Pas de foi sans justice

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Le christianisme n'est pas une idéologie politique, ni un mouvement social ou un système économique, mais la foi en un Dieu amour. Dans son discours inaugural de la 5e Assemblée générale des évêques latino-américains, à Aparecida, le 13 mai, le pape Benoît XVI a mis en garde contre la tentation de réduire la réalité aux seules dimensions sociales et économiques : Dieu est la réalité fondamentale, a-t-il affirmé. Ce qui n'a pas empêché le Saint Père de s'engager sur le terrain sociopolitique. Certes, il ne l'a pas fait à la manière d'un théologien de la libération, mais comme un professeur qui donne sa leçon et tient la distance. Il a bien dénoncé au passage les régimes autoritaires, la globalisation, la pauvreté, la faim et la violence, mais, comme à Ratisbonne avec les musulmans, il a vexé les descendants des civilisations précolombiennes en vantant sans nuance les mérites d'une évangélisation ambiguë, ressentie comme un instrument de domination sur les peuples indigènes[1].

Tout spirituel qu'il soit, le message évangélique n'en comporte pas moins de sérieuses retombées sociales puisque la valeur d'une existence se mesure à la manière de se comporter envers les pauvres : J'étais affamé, assoiffé, étranger, nu, malade et prisonnier? Tout ce que vous n'avez pas fait pour les plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait. Paroles de feu, trop explosives pour rester enfermées dans les sacristies, qui disent l'indispensable visibilité de la foi chrétienne.

Les réalités économiques, sociales et politiques n'épuisent certainement pas toute la réalité. Mais elles peuvent tout de même être un présage du Royaume de justice et de paix prêché par le Christ. En rendant visible quelque chose du monde nouveau auquel aspire l'humanité, elles fondent son espérance et soutiennent sa marche. Le Maître de Nazareth ne s'est pas contenté de prêcher le salut qui vient de Dieu. Pour que sa prédication soit crédible, il en a donné des signes, guérissant de vrais malades, distribuant de vrais pains, touchant de vrais lépreux et pardonnant à de vrais pécheurs. Des gestes qui témoignaient que le salut promis n'était pas une utopie, mais bien une réalité déjà présente dans le monde, modeste et fragile peut-être, mais suffisante pour rendre plausible la promesse d'un monde meilleur.

En 1971 déjà, le Synode des évêques prévenait les catholiques contre une interprétation trop molle des implications sociopolitiques du message chrétien : « La mission de prêcher l'Evangile exige, aujourd'hui, l'engagement radical pour la libération intégrale de l'homme, dès maintenant, dans la réalité même de son existence en ce monde. Si le message chrétien d'amour et de justice ne se réalise pas, en effet, dans l'action pour la justice dans le monde, il paraîtra difficilement crédible à l'homme d'aujourd'hui. »

Reprenant une notion largement développée par la théologie de la libération, Jean Paul II avait dénoncé les structures d'injustice et de péché qui marginalisent ou excluent les pauvres. Le comportement répétitif des individus, qu'il soit actif ou passif, contribue à renforcer, chez nous et dans d'autres pays, des moeurs économiques, sociales ou politiques, qui deviennent d'autant plus difficiles à abolir qu'elles finissent par s'inscrire dans des systèmes juridiques. En élevant au rang de catégories morales l'interdépendance et la solidarité, Jean Paul II signifiait qu'elles engagent le salut.

Plusieurs articles de ce numéro traitent des relations Nord-Sud et de l'aide au développement. Il y a quelques années une grande consultation oecuménique sur l'avenir social et économique du pays avait mobilisé l'opinion publique et plus particulièrement les chrétiens. Un message intitulé L'avenir ensemble, adressé au pays et solennellement remis au président de la Confédération, voulait stimuler un engagement en faveur d'un avenir bâti en commun. Des propositions concrètes avaient été faites, entre autres en faveur de relations Nord-Sud plus équitables. Ces belles déclarations n'ont guère été suivies d'effets. Apparemment, elles agitent moins les débats de nombreux cercles catholiques que les questions de liturgie tridentine et autres tempêtes de bénitiers.

1 - En 1992, son prédécesseur avait fait acte de repentance regrettant les exactions de la colonisation.

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