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mardi, 23 mai 2017 13:24

Indonésie : Ahok arrêté

Ahok 1Des experts de l’ONU ont demandé lundi à l’Indonésie de libérer le gouverneur chrétien de Jakarta, Basuki Tjahaja Purnama, surnommé Ahok, condamné pour blasphème à deux ans de prison, et d'abroger des lois sur le blasphème. Sa condamnation avait créé la stupeur, faisant craindre une montée de l’intolérance religieuse dans le plus grand pays musulman du monde.

Aujourd’hui âgé de 50 ans, Ahok, premier gouverneur non musulman en un demi-siècle et le premier issu de la minorité chinoise, avait accédé automatiquement à ces fonctions en 2014, après l’élection à la présidence de son prédécesseur Joko Widodo, dont il était alors l’adjoint. L’affaire est directement liée à la campagne pour l’élection au poste de gouverneur, que Basuki Tjahaja Purnama a perdue en avril. Il demeure cependant gouverneur jusqu’en octobre.

Connu pour son franc-parler, Ahok avait déclaré en septembre que l’interprétation par certains oulémas d’un verset du Coran – en vertu duquel un musulman ne doit élire qu’un dirigeant de sa propre religion – était erronée, provoquant une vague de contestation dans ce pays d’Asie du Sud Est.

Interpellé par l’agence Fides à propos de la condamnation de Basuki Tjahaja Purnama, le Père jésuite Franz Magnis-Suseno, chercheur et enseignant universitaire connu, présent en Indonésie depuis 56 ans, a déclaré: «Il s’agit d’une décision injuste, prise par les juges à cause de fortes pressions des islamistes.» Analyste politique et directeur de l’école de philosophie des jésuites à Djkarta, le Père Magnis-Suseno parle de «populisme islamique».

«Les extrémistes chercheront à poursuivre leur campagne en vue des élections présidentielles de 2019 afin de battre le président Joko Widodo, dit Jokowi. Celui qui en bénéficierait serait Prabowo Subianto, l’homme que l’actuel chef de l’État a battu en 2013. Ils chercheront à démontrer que Joko Widodo n’est pas un véritable musulman.» Mais le jésuite allemand avance un scénario encore plus préoccupant.

«Depuis plus d’un an, une coalition silencieuse composée de généraux à la retraite et de militants islamiques semble se mettre en place. Une montée des désordres et du chaos social pourrait contraindre les militaires à prendre le pouvoir, avec l’appui des islamistes. Les vieux généraux n’ont jamais accepté la réforme démocratique mise en œuvre après la chute du dictateur Suharto.»
Le jésuite en retire deux leçons: «La première est que l’extrémisme islamique a été sous-évalué, même par les grandes organisations musulmanes de la société civile que sont les Muhammadiyah et Nahdlatul Ulama (NU). Au cours des six derniers mois, les jeunes militants de NU et surtout de Muhammadiyah se sont groupés avec enthousiasme derrière le responsable extrémiste Habib Rizieq Shihab. Il est possible que cela aboutisse à un changement d’équilibre dans l’islam indonésien. Les radicaux proclament représenter l’ensemble de l’islam indonésien; ils insistent sur le fait que l’identité islamique doit jouer un rôle central sur la scène politique.»

Provocations et résistance
La seconde leçon concerne la minorité chrétienne: «Les paroles de Basuki Tjahaja Purnama et sa candidature ont été vues comme une provocation. Le temps n’est pas encore venu pour l’Indonésie d’avoir un chrétien comme responsable national, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un chrétien d’origine chinoise - attendu qu’il existe un sentiment antichinois au sein de la société -, par ailleurs arrogant et hautain!» Il a inutilement provoqué les radicaux au travers de son discours sur le coran.»
Les citoyens chrétiens ont offert à Basuki Tjahaja Purnama un appui pacifique. «En signe de solidarité, ils l’ont accompagné jusqu’à la prison, explique le directeur jésuite, en chantant l’hymne national et en lançant ce message: les baptisés ne sont pas prêts à laisser l’Indonésie tomber entre les mains de fanatiques et d’extrémistes.»

 

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