Nous revoici donc dans ces années marquées par la contestation qui a gagné les villes européennes après les États-Unis. La société issue de l’après-guerre éclate et les révoltes étudiantes, ouvrières, avec Mai 68 et les années MLF, mettent à mal les anciennes valeurs qui ne sont plus en phase. À cette époque, des pays comme la Suisse n’ont pas encore accordé le droit de vote aux femmes, on le sait. Pourtant elles portent la minijupe, dansent sur les Doors ou les Stones.
Avec l’arrivée de la vidéo, témoignages et actions pouvaient être filmés avec une grande légèreté de moyens. Carole Roussopoulos raconte comment elle acheta au magasin la seconde camera vidéo disponible, la première ayant été réservée par Godard. Lorsque des prostituées se cloîtrent à l’intérieur d’une église de Paris pour protester contre leur condition, Carole et Delphine les filment, les interviewent, et leur parole libérée (emblème des révoltes de cette époque) résonne dans les haut-parleurs, tandis que leurs visages apparaissent à l’écran devant une foule ébahie. Et cette gerbe déposée dans une ronde festive devant la tombe du Soldat inconnu, arborant sur son ruban À la femme du soldat inconnu, ne montre-t-elle pas la fantaisie percutante de ce féminisme-là? En France, un sujet plus dramatique comme l’avortement fut aussi empoigné par Carole Roussopoulos quand les femmes étaient obligées d’aller subir une interruption de grossesse à l’étranger. Le paternalisme sévissait: on revoit un extrait d’émission de Bernard Pivot où un invité, critique gastronomique, concède que les femmes cuisinent au quotidien mais affirme péremptoirement qu’elles ne font pas de grande cuisine!Delphine et Carole, insoumuses
Il fallait un certain courage pour lutter contre les préjugés ambiants et braver les conventions. Ainsi Delphine Seyrig fut parfois boycottée par certains producteurs. Le film reprend des bribes d’entretiens qu’elle a effectués avec une vingtaine d’actrices à Hollywood, en France et de réalisatrices. On se souvient de Sois belle et tais-toi, réalisé par Delphine et Carole sur les rôles endossés par les actrices. L’intérêt, outre documentaire, de ces images est aussi de montrer que le féminisme dans ces années-là était profondément contestataire, libertaire. La société dans son ensemble était mise en cause. Le féminisme d’aujourd’hui semble plus tourné sur les conquêtes institutionnelles et les violences contre les femmes.
Il est intéressant de noter que Carole Roussopoulos, née de Kalbermatten, éduquée dans un pensionnat catholique, s’est vite enfuie d’un Valais jugé étouffant pour vivre sa liberté à Paris, ayant épousé Paul Roussopoulos, peintre, avec qui elle lança le premier collectif de vidéo militante. La mère de Delphine Seyrig, Miette (Hermine) de Saussure, Genevoise, navigatrice et sportive, était une grande amie d’Ella Maillart. Et c’est ensemble qu’elles faisaient des virées en voilier sur le lac et en mer, avant-goût d’une vie d’aventures pour Ella, tandis que Miette, mariée à un archéologue français, faisait une croix sur son désir de vivre en mer…
Le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir a été créé en 1982 par Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Ioana Wieder, pour créer une mémoire audiovisuelle des mouvements de femme.
Delphine et Carole, insoumuses