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mercredi, 15 décembre 2021 11:42

Douceurs et amertumes du chocolat de Suisse et d’ailleurs

FumeyGilles Fumey
Douceurs et amertumes du chocolat de Suisse et d’ailleurs
Lausanne, D’en bas 2020, 144 p.

Passionnant petit livre de ce professeur de géographie culturelle et chercheur au CNRS (France), dans lequel l’aventure du chocolat ne saurait faire l’économie de l’histoire des techniques et des mentalités.

Partant des Aztèques, qui semblent la tenir des Mayas, la fève de cacao traverse les siècles en une saga qui va des cours européennes au chocolat pour tous, en passant par l’éthique protestante et les batailles navales pour l’hégémonie du trafic des fèves de cacao.

On y apprend que le Père jésuite José de Acosta a écrit en 1590 une Histoire naturelle et morale des Indes en juxtaposant coca et chocolat comme objets de superstition. Que l’émigration grisonne en Europe et en Russie a amené la pâtisserie à son degré le plus raffiné: de la Haute-Engadine on s’expatrie (la surnatalité ne permet pas de nourrir toutes les bouches) et l’on y revient souvent, ayant fait fortune. Ainsi les Josty de Davos, qui s’installèrent vers 1700 en Engadine, furent une grande dynastie chocolatière en Allemagne.

Le chocolat doit aussi à l’essor de la technique (moulins hydrauliques suisses, moteur à broyer les fèves, technique du conchage de Lindt) et à la culture protestante, qui a beaucoup fait pour son développement en lui associant valeurs et même bonne santé. Ora e labora est alors la devise de Suchard! En 1832, le canton de Vaud compte vingt-sept entreprises chocolatières. Gilles Fumey ose une pertinente comparaison en écrivant que l’on peut attribuer au carré de la tablette de chocolat les qualités d’une eucharistie laïque, au sens où le terme grec evcharisto signifie remerciement. L’auteur se réfère au rôle symbolique des repas et des partages. «Donner du chocolat à un enfant, c’est le faire entrer dans un cercle où il se sent reconnu comme un individu libre, façonné par une relation chrétienne aux autres» (la structure de la tablette permet une distribution équitable à chacun).

Enfin, le succès planétaire du chocolat doit beaucoup au génie industriel et financier des Suisses, à leur sens du marketing (avant même que la notion existe) et à leur imagination. Pour preuve, l’utilisation du paysage dans le chocolat. Citons le Toblerone (imitant le Cervin)! Aujourd’hui, c’est avec une autre éthique, l’éthique équitable, que le chocolat a affaire, avec des ONG qui veillent au grain!
Valérie Bory

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