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mercredi, 15 décembre 2021 11:58

L’Union européenne à l’épreuve des nationalismes

Voy GillisAnaïs Voy-Gillis
L’Union européenne à l’épreuve des nationalismes
Monaco, du Rocher 2020, 224 p.

Chercheuse à l’Institut français de géopolitique (Université Paris VIII), docteure en géographie, Anaïs Voy-Gillis examine l’essor du courant nationaliste-autoritaire en Europe. Mais la tendance est mondiale.

«La Chine et la Russie (…) considèrent la démocratie occidentale comme un leurre» et sont de plus en plus suivis, sur divers aspects, par des pays comme l’Inde, les Philippines, la Turquie, l’Égypte ou encore l’Iran. Admirateur de ces régimes, Trump a mobilisé 48 % des électeurs, et au Brésil son pendant Bolsonaro a été élu par 55 % des voix.

Cette orientation séduit désormais aussi une partie importante de l’électorat européen. Point de départ: le rejet de l’Union européenne (UE) et l’affirmation que «l’échelon national serait le plus pertinent pour conduire les politiques publiques et le plus protecteur ». Un élu polonais « accuse l’UE de promouvoir un agenda de gauche libérale sur les questions sociétales (féminisme, LGBT, mariage gay, multiculturalisme) auquel il faut résister». Quant au ministre des Affaires étrangères de ce même pays, il dénonçait «un mélange de cultures et de races, un monde de cyclistes et de végétariens qui n’utilisent que des énergies renouvelables et luttent contre tout symbole religieux».

Utilisant la figure émotionnelle «d’un lien entre immigration, chômage et insécurité», «la représentation des partis nationalistes-identitaires et des partisans de l’illibéralisme est celle d’une Europe blanche et chrétienne». L’ancien Premier ministre slovaque Robert Fico, qui a dû démissionner en 2018 suite à un vaste scandale de corruption, a été jusqu’à déclarer: «Jamais je n’admettrai un seul musulman sur le territoire de la Slovaquie.» Dans ces discours, «le peuple est toujours opposé à l’élite, représentée comme un corps homogène et indifférencié».

L’exercice autoritaire du pouvoir est explicitement revendiqué et, «après vingt ans de construction de l’État de droit, la Pologne et la Hongrie procèdent à son démantèlement progressif». Les dirigeants populistes y ont mis «en cause le principe de séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice ou encore la liberté de la presse», considérant que «rien ne doit venir s’immiscer entre le chef et son peuple, ce qui entraîne une négation de la société civile et donc une tentation d’en réduire les capacités d’action».

Les causes de ce refus croissant des valeurs constitutives de nos démocraties? «Un profond sentiment de déclassement de la part d’une partie grandissante de la population» et un «appauvrissement relatif des classes moyennes». Mais aussi le constat que «les générations à venir n’ont plus la garantie d’avoir un avenir meilleur que celui de leurs parents».

Rappelant qu’«une communauté po-li-tique suppose un imaginaire commun», l’auteure relève que « la force de ces partis réside dans leur capacité à recréer un imaginaire autour de leur projet dans une période où les citoyens sont dans une quête de sens». Elle souligne qu’«il n’existe pas de récit européen ou, s’il existe, il est très faiblement diffusé, alors que chaque nation a construit son récit national. Les symboles, les grandes figures et les valeurs de l’Union européenne sont méconnus d’une majorité des citoyens européens.»

Les échecs électoraux de Salvini puis de Trump donnent un petit répit au camp humaniste et de l’État de droit. Le retour de la confiance est étroitement lié à un modèle économico-social permettant d’assurer emploi, revenu et égalité des chances. Par ailleurs, le vivre-ensemble de cultures, d’ethnies et de religions différentes ne va jamais de soi; il s’agit donc de travailler sur les conditions le rendant possible. Et les dirigeants européens devront développer «un sentiment d’appartenance fort à une communauté de destin» justifiant l’exercice partagé des souverainetés nationales.

L’auteure cite parmi les défis à relever le réchauffement climatique ou «la menace représentée par la Chine» et appelle de ses vœux « une troisième voie entre celle des technocrates et celle d’un césarisme renouvelé qui se présente comme l’unique défenseur du ‹vrai peuple».
René Longet

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