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jeudi, 14 octobre 2021 11:39

Mon légionnaire

"Mon legionnaire", un film de Rachel Lang, 2021 © ML/Cheval deux trois/Wrong MenLe titre de ce film de Rachel Lang est un clin d’œil à la chanson d’Édith Piaf, dans les années 1930, reprise avec son génie par Gainsbourg. Les légionnaires engagés en Afrique avec l’armée française et d’autres forces occidentales sont bien réels, eux, et se trouvent aujourd'hui au Mali.1 Ils viennent de partout pour rejoindre la Légion étrangère, leur nouvelle famille. Mon Légionnaire raconte l’histoire de deux couples qui vont se frotter à deux univers contradictoires, l’armée et leur vie amoureuse.

Il y a le lieutenant Maxime (Louis Garrel) et sa femme Céline (Camille Cottin), ainsi qu’une jeune ukrainienne, Nika (Ina Marija Bartaité), et son compagnon Vlad (Aleksander Kutznetsov), simple troufion dans la compagnie du lieutenant. Les femmes sont les vestales du couple, le pilier de leur petit noyau familial, envers et contre tout. Elles luttent pour entretenir la flamme, pendant que leur moitié, époux et père, poursuit sa mission en territoire hostile.

C’est en Corse, dans la beauté éternelle de ces paysages méditerranéens, que se trouve la base militaire où vivent les épouses et les compagnes des soldats engagés, et c’est là qu’elles les attendent, dans ce gynécée avec enfants, où les femmes de gradés côtoient celles des simples aspirants, dans une amitié et une entraide obligées et pourtant chaleureuses.

Il faut vivre avec son spleen loin du compagnon, qui revient périodiquement et repart poursuivre sa mission dans les sables du désert. Ici, le Mali. Mais les scènes reconstituées de combat (contre les assauts djihadistes) ont été tournées au Maroc.

La solidarité de cette petite communauté de femmes est l’exact miroir de la solidarité qui unit les hommes entre eux, ces légionnaires qui épaulent les armées autochtones dans le désert du Sahel en partant pour n’importe quelle mission dangereuse et qui savent qu’à chaque fois qu’ils quittent le havre corse, ils risquent d’être l’un de ceux qui reviendra dans un cercueil.

Un univers vertical, aux rôles bien définis

Le film évite l’écueil du discours idéologique dans un sens ou dans l’autre. Tout juste est posée la question de l’engagement français en Afrique, lors d’un souper au bord de la mer entre soldats, compagnes et amis. La camera nous montre comment ces légionnaires font leur métier, dans le respect des codes, des rites, de la hiérarchie, de la discipline. Ils sont des fonctionnaires de l’État français. À ce titre, il est assez fascinant de découvrir cet univers vertical, transcendant le quotidien, unidimensionnel, si différent de notre société sans contraintes ou alors secondaires.

Ina Marija Bartaité, dans "Mon légionnaire" © ML/Cheval deux trois/Wrong MenLes épouses et compagnes, dont certaines ont un engagement professionnel, organisent la vie de la famille restée à la base, dans un paysage éternel, qui n’en abolit pas pour autant la difficulté de leur situation. La jeune compagne du soldat ukrainien, incarnée par la touchante comédienne Ina Marija Bartaité, morte d’un accident ce printemps et à qui le film est dédié, quittera son compagnon trop souvent en mission, complètement éteinte par la solitude. Sa rencontre avec un jeune Corse, devant qui elle danse, pudique et tendre, est inoubliable. Il faut signaler la magnifique bande-son du film, musique chorale et compositions du groupe Ozedenne.

Voilà un film dont le thème va à l’essentiel, où la séparation géographique des couples agit comme un révélateur des rôles attribués à l’homme et à la femme. Pensons au «club des épouses», avec ses activités organisées pour elles dans l’attente du retour de leur homme, comme un marin parti en mer. Quant aux acteurs, ils imprègnent au plus juste les personnages en les vivant de l’intérieur.

Mon légionnaire est le second long-métrage de Rachel Lang, jeune cinéaste qui fut officier (non, l’armée ne dit pas officière) dans l’armée de terre française et qui s’est retrouvée au Sahel en 2017. C’est avec une grande connaissance de la vie militaire qu’elle s’est lancée dans ce sujet hors sentiers battus. Présenté à la Qunzaine des Réalisateurs à Cannes 2021, ce cinéma appartient à un nouveau réalisme, sans pathos, précis jusqu’au détail, proche du documentaire.

1 Le 10 juin 2021, la France a annoncé la fin de l'opération militaire Barkhane contre les djihadistes au Sahel et son retrait progressif. Barkhane s’inscrivait dans un engagement des forces occidentales sur l’ensemble du Sahel contre les organisations djihadistes affiliées à Daech ou Al Qaida.

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