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mercredi, 02 mars 2022 16:42

«Tout commence», une carte postale acide de la lutte pour le climat

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Tout Commence de FrédéricChoffat: SolalTout commence (2021) de Frédéric Choffat retrace la lutte pour le climat d’une jeunesse suisse qu’on qualifie volontiers de dorée, comme pour nous dédouaner à bas prix de nos inactions. Une carte postale douce-acide du surplace des milieux économiques et politiques en matière d’écologie qui pousse les activistes à manifester encore et toujours pour tenter de faire bouger le législateur. Ce film, tourné avant et pendant la pandémie, sera diffusé en première suisse au Festival du Film et Forum International sur les droits humains (FIFDH) le 5 mars prochain.

Tout commence est un film de famille. Et dans le film de la famille Choffat, il y a le père, la mère, le fils et la fille, la grand-mère, le grand-père, mais aussi toute une constellation d'activistes pour le climat dont chaque membre fait partie du clan à sa manière. Ils questionnent, se questionnent, doutent, manifestent, se découragent, rêvent, agissent…

Le Père, Frédéric, est le réalisateur du documentaire à qui sa fille demande comment il se positionne face à ce monde. Il lui répond: «Je raconte ce qui se passe autour de moi dans des films.» Puis, plus tard, en voix off: «Ce que je ne t’ai pas dit, c’est ma colère, ma tristesse, ma rage de vous voir sans demains, sans horizons, sans rêves. Ton futur, tu me l’as dit, ce n’est pas une carrière à venir, pas un rêve à réaliser. Ton futur, c’est juste vouloir vivre. Aujourd’hui, les rues sont désertes, la question climatique a été enterrée. Covid-19. Et si cette pause forcée était une réponse, l’occasion de redémarrer autrement? Mais tu vois, j’ai des doutes.»

Le fils, Solal, l’un des interlocuteurs principaux, est un activiste convaincu de 18 ans. «Comme les gens n’ont pas l’air de paniquer, rien ne se passe», constate l’adolescent assis dans un champ aux côté d’araignées «vraiment trop flippantes». À propos de son arrestation et de sa garde à vue suite à une manifestation pacifique devant une grande banque suisse, il commente: «Je me suis retrouvé en cellule avec un jeune réfugié. C’est intéressant de remarquer que deux mineurs ont été enfermés, l’un pour avoir bloqué l’entrée d’une banque et manifesté pour le climat, et l’autre pour avoir fui un monde de merde provoqué par d’autres.» Et de poursuivre: «Les militants sont punis, et pas ceux qui pillent le monde.»

«Tout commence» de Frédéric Choffat 133080 768x432

La fille, Lucia, dont la maturité s’affirme au fil du tournage et qui se décourage parfois à force de voir le monde immobile: «Si j’étais adulte maintenant, je ne voudrais pas faire d’enfant!» Plus loin, elle reconnaît: «Je ne me sens pas super bien, mais je ne suis pas inquiète. Je réfléchis aux études que je veux faire, puisque le monde est incertain.» Puis, elle dira plus tard avant de repartir pour une énième manifestation: «Laissons les choses venir. Elles seront comme elles seront.»

La mère est le soutien indéfectible de sa progéniture: «Il n’y a rien de plus précieux que nos enfants, les êtres que j’aime le plus au monde. J’aimerai qu’il ne leur arrive rien et tout mette en œuvre pour les protéger. Mais je sais qu’ils n’ont pas le choix. Lutter pour leur avenir, c’est leur job.»

Les activistes, enfin, qui n’ont rien de jeunes écervelés et qui expliquent pourquoi ils manifestent, de manière très concrète et pertinente. «Nous sommes une générations prête à se sacrifier pour notre avenir», commente une militante. «On enchaîne les actions, on y met tout notre temps et toute notre énergie», commente une seconde qui s’impatiente face à l’inertie des décideurs. «Je m’inquiète de cette lenteur. Nous sommes prêts à faire de la garde à vue et à payer des amendes pour que les choses bougent. Mais pas à mener action après action pour finir par nous écraser contre le système.» Un troisième questionne: «Plus on essaie d’actionner des levier, plus on nous musèle et on nous enfonce dans des procédures longues et énergivores. On finit par se demander: Est-ce que ce monde a vraiment envie d’être sauvé? Est-ce qu’on ne se bat pas contre le monde entier en se battant pour le monde entier?»

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Tous ces personnages attachants partagent la même conviction: il n’y a pas le choix, la priorité aujourd’hui est la lutte pour le climat!

Le couperet de la justice

Quand les activités qui avaient occupé illégalement les locaux du Crédit Suisse à Lausanne en novembre 2018 ont été jugés, leur avocate Laïla Batou espérait que leur jugement soit «une mains tendue vers la jeunesse (…) une tentative de la réconcilier avec les institutions, de rafistoler ce qui pouvait l’être et reconstruire un peu de responsabilité sociale». Les juges en ont décidé autrement: «Ils sont venus nous dire: "Que nenni, circulez il n’y a rien à voir, le législateur fera ce qu’il voudra quand il le voudra, vous n’avez qu’à attendre votre tour, le jour où vous serez législateurs et que vous aurez à voter les lois.» La crainte de l’avocate? Que la jeunesse -lâchée par le 3e pouvoir- ne croit plus en rien, ne fasse plus confiance aux institutions.(1) Que toutes ces générations qui grandissent s’organisent autrement et se radicalisent. Voire qu’elles deviennent dangereuses pour les gens qui ont le pouvoir et l’argent.

La désobéissance à l'ordre établi, ou encore la désobéissance civile est au cœur de notre édition de janvier 2020. Sommaire à découvrir ici.

«Je ne sais pas ce que je vais ressentir le jour où je vais lire qu’une première opération de sabotage a été commise, qui apparaîtra dans les médias comme un attentat écologique ou quelque chose de ce type», avoue l’un des activistes phare du film qui s’est retrouvé plusieurs mois en dépression après s’être donné à 300% dans la lutte pour le climat. C’était avant la pandémie. Avant l’arrêt brutal des relations sociales et de la possibilité de regroupement. Un jour, il a entendu quelqu’un parler de guerre. Il n’a ni envie d’utiliser ce mot dans la lutte pour le climat, ni d’y participer, «mais j’ai peur de ne pas avoir le choix».

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Les jours d’après

Retour dans la forêt, près de ruchers, pour une carte postale climatique de fin peu réjouissante. «Ce que je ne comprends pas, c’est que cette urgence ne soit toujours pas prioritaire», commente le réalisateur. Que faire? Tout miser sur la technologie pour nous sauver ou jouer à l’ermite loin de la civilisation pour s’extraire de cette galère? «Ce serait chouette de croire qu’un autre monde est possible, que nos droits sont importants, qu’on va vers le mieux et que l’amour de l’autre est plus important que la haine de l’autre.» Pour passer de ses rêves à la réalité, Solal mise encore et toujours sur l’action: «La lutte doit continuer, à en devenir naturelle!»

ToutCommence afffiche 724x1024Tout commence
Un film documentaire de Frédéric Choffat
Long-métrage de 92 minutes
Une production Close Up Films
en coproduction avec Les Films du Tigre
Avec la participation de Alexandra Slotte, Robin Chappatte, Solal et Lucía Choffat, Quentin Chevalley, Julie Gilbert, Christophe Chammartin, Catherine et François Choffat et Laïla Batou, avocate.

Le film du cinéaste suisse sera diffusé en première suisse dans le cadre du 20e Festival du Film et Forum International sur les droits humains (FIFDH) de Genève le samedi 5 mars à 20h30 à l’Espace Pitoëff –Théâtre et le mercredi 9 mars à 16 heures au même endroit en présence du cinéaste. Sortie en salles en Suisse romande le 16 mars.

Le FIFDH se tient à Genève du 4 au 13 mars 2022. Depuis 20 ans, le Festival «souligne les questions qui enflamment l’actualité et met en lumière des causes oubliées». Après deux éditions numériques, l’événement peut enfin reprendre le cours de ses projections de films de fiction et de documentaires, ses masterclasses, expositions, grands entretiens et débats en live. Et même un concert exceptionnel de la marraine du festival Barbara Hendricks et de son Blues Band le jeudi 10 mars au Théâtre Forum Meyrin. Tout le programme sur https://fifdh.org/

1.  Publié le 28 février 2022, le nouveau rapport des experts climat de l’ONU (Giec) est sans appel: la moitié de la population mondiale est d’ores et déjà «très vulnérable» aux impacts du changement climatique et l’inaction «criminelle» des dirigeants risque de réduire les faibles chances d’un «avenir vivable» sur la planète. Commentant ce rapport, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a lui-même déclaré: «J’ai vu de nombreux rapports scientifiques dans ma vie, mais rien de comparable à celui-ci», décrivant «un recueil de la souffrance humaine et une accusation accablante envers l’échec des dirigeants dans la lutte contre les changements climatiques». Un point de vue qui vient conforter d’une certaine façon celui des activistes pour le climat.

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