Deux déesses ici sont honorées, deux religions sont pratiquées: l’amitié et la littérature. Pour relier les deux: la lettre. Un autre art: l’art épistolaire. On s’écrit d’abord les uns aux autres, on veut être lu par ses pairs, jugé, critiqué. On se querelle parfois, signe que le dieu qu’on sert est vivant, mais on écrit toujours pour un petit nombre. Le grand nombre n’existe que pour les éditeurs et les journalistes, quand la littérature entre dans le cycle commercial. Car on n’est vrai qu’entre gens de même métier. Le livre de Philippe Berthier, Amitiés d’écrivains, s’adresse au premier chef à ceux qui ont dilaté leurs pupilles et voûté leurs épaules sur des feuilles de papier couvertes de mots, non pour de l’argent ni pour la gloire, mais parce que les mots leur ouvraient les portes de ce qui dans ce monde se rapproche le plus du royaume des cieux.
Auteur d’une quarantaine de livres, écrivain, journaliste et éditeur suisse, Roland Jaccard s’est donné la mort le 20 septembre 2021 à l’âge de 79 ans. Son dernier livre, On ne se remet jamais d’une enfance heureuse, venait d’être édité aux éditions de l’Aire, à Vevey. Notre chroniqueur littéraire Gérard Joulié propose ces quelques vers pour honorer sa mémoire.
ll faut un temps fou pour faire des vers bons ou mauvais. Parfois il y faut une vie entière. Et combien ont fini dans le fond d’une corbeille, jetés d’une main rageuse aux doigts noircis d’encre. Il faut aussi du temps pour les lire. On peut demeurer une journée sur deux ou trois vers, car les vers d’un poème sont faits pour dire et célébrer une sorte d’absolu.
Le Grand Meaulnes, ce livre qui enchanta les jeunes années de générations de lecteurs, est sorti en Pléiade avec une préface et un appareil critique de Philippe Berthier le stendhalien qui est, peut-être à l’heure qu’il est, l’œil le plus aiguisé ouvert sur ces grandes affaires de l’âme et des lettres qui au fond n’ont jamais remué que quelques happy few. Mais comme dit l’Évangile, il sera donné à ceux qui ont et ôté à ceux qui n’ont pas même ce qu’ils croient avoir.
Alain Fournier
Le Grand Meaulnes
suivi de Choix de lettres, de documents et d’esquisses
édition établie par Philippe Berthier
Paris, Pléiade n° 646, Gallimard 2020, 640 p.
Dieu, le diable et la femme sont les trois principaux protagonistes de l’œuvre de Huysmans qui se déroule dans le Paris des messes noires, des sabbats de femmes hystériques, de prêtres diaboliques de la fin du XIXe siècle, toutes choses qui à l’esprit cartésien et jacobin d’un homme d’aujourd’hui semblent être des accessoires de mélodrame. Et cependant un homme comme Paul Valéry goûtait et prisait Huysmans. Valéry, qui avait reçu une éducation catholique, aimait les femmes et sans croire au dieu de Pascal pensait que le diable était un personnage sans lequel on ne fait pas grand chose. L’auteur de Mon Faust était-il hégélien à son insu?
JK Huysmans
Romans et nouvelles
Pléiade numéro 642
Paris, 2019 Gallimard, 1856 p.