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dimanche, 06 décembre 2009 11:00

Teilhard au feu de l'amitié

Timbal 42150Nicole Timbal, Teilhard de Chardin, au feu de l'amitié, Ed. des Béatitudes, Paris 2009, 318 p.

Parmi les livres qui ont fleuri autour et sur Pierre Teilhard de Chardin, celui-ci occupe, à mon avis, une place très particulière et je l'ai pour ma part lu avec joie et émotion.

L'autrice s'est penchée avec une infinie délicatesse sur les affections féminines que le Père a partagées au cours de sa vie. A commencer par sa mère, ses deux soeurs, sa cousine qui sera, tout au long de son parcours, le fil d'Ariane de son labyrinthe intérieur. Suivront de nombreuses autres amitiés et, sur ce plan, il est important de souligner ce terme afin d'écarter toute ambiguïté possible. Des prénoms s'égrènent : Léontine Zanta, la princesse de la Renaissance, Lucile Swan, l'artiste américaine, Claude Rivière, la journaliste, Ida Treat, la philosophe, Rhoda de Terra, qui deviendra sa gouvernante et son infirmière, Jeanne Mortier, sa secrétaire et légataire universelle, et d'autres encore : épouses de ses amis, femmes d'ambassadeurs, philosophes, musiciennes... La liste est longue car le Père a toujours suscité autour de lui une grande attirance et comme il avait besoin de « résonance » (son ordre et Rome lui opposant un silence froid et lointain), il trouvait dans toutes ces amitiés féminines une correspondance qui lui était indispensable. Avec elles il partagea son goût, son besoin irrésistible de cet « unique suffisant et unique nécessaire ».

Dans Le Coeur de la Matière, il parle beaucoup de cet essentiel dont le reste n'est qu'un accessoire ou un ornement. Il a la chance, il est vrai, de bénéficier d'une vie sociale et chrétienne privilégiée et il restera durablement influencé par l'exemple de ses parents qu'il résumera en trois mots : courage, dignité, abandon.

Des échanges féconds

Dans ses premières lettres à sa cousine, écrites durant la Première Guerre mondiale, fuse déjà la richesse incandescente de sa pensée qui s'analyse et se concentre. Il rédigera à cette époque Ecrits du temps de la guerre : réflexions sur la solitude, la souffrance, l'amour, la mort, et tout ce qu'il écrira plus tard ne sera en fait que le développement de ce qui est déjà là, en genèse, né de ses échanges avec elle. Elle qui a été non seulement la confidente mais aussi l'inspiratrice dont il avait besoin.

A cette époque, ils ont tous les deux un peu plus de trente ans et Marguerite, qui fera une carrière littéraire sous le nom de Claude Aragonnès, restera à jamais fidèle à cet étonnant partage qu'ils ont vécu pendant les années de guerre.

Pendant les années de Pékin, qui sont d'abord insouciantes puis sombres et pénibles, il développe une autre amitié avec une artiste américaine dont les intuitions, les approches culturelles, profondément laïques, sont nouvelles pour lui. Cette amitié-là deviendra un peu pénible au cours du temps car la jalousie, la possession et certaines attentes non réalisées se conjuguèrent pour rendre leurs rencontres difficiles. Ils avaient des conceptions différentes de l'amour, sur lesquelles ils butèrent. Lui, le mystique, cherchant Dieu dans cette expérience et elle s'y déchirant... Pourtant elle dira après la mort du Père : « Le privilège d'avoir eu l'amitié de ce grand homme continue d'être la plus importante et la plus belle part de ma vie. »

C'est du reste pour tenter de lui faire comprendre son statut de prêtre consacré qu'il se mettra à écrire La chasteté féconde, que l'on trouvera en deuxième partie de ce livre avec d'autres sujets tels que L'amour, une formidable énergie, L'éternel féminin, La Vierge Marie. La femme sans voile.

Jeanne Mortier

Jeanne Mortier, sa légataire universelle, femme de prière comme lui, se battra sans relâche après la mort du Père - qui rejoindra son Seigneur un jour de Pâques, comme exaucé dans son désir de mourir le jour de la Résurrection, ce jour où la Diaphanie vient, le plus totalement, se substituer à l'Etre, pour faire connaître sa pensée.

La Compagnie de Jésus lui laissa la responsabilité de la diffusion de l'oeuvre du Père, en s'interdisant de la juger, et Jeanne Mortier organisera des colloques et des sessions à côté de la publication de l'oeuvre elle-même. Elle est la source du renouveau teilhardien dont nous jouissons et nous réjouissons. Nous pouvons avoir pour elle une infinie gratitude car elle a fait plus que sauver son oeuvre, elle lui a donné vie, a perpétué sa parole, ses intuitions et son souffle spirituel auprès des générations à venir dont nous sommes.

Pierre Teilhard au feu de l'amitié devient, pour le lecteur, un ami encore plus grand qu'il l'était jusqu'à ce jour.

 

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