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mercredi, 06 juin 2012 12:00

Rousseau et la nature

Philippe Roch, Dialogue avec Jean-Jacques Rousseau sur la nature. Jalons pour réenchanter le monde, Genève, Labor et Fides 2012, 210 p.

Cet ouvrage met en scène un dialogue entre l'auteur, ancien directeur du WWF puis de l'Office fédéral de l'environnement, expert reconnu des matières environnementales et du développement durable, et un Jean-Jacques Rousseau revenu parmi nous.

Ce dernier, on le savait, n'était pas à l'aise avec l'agitation factice de la vie mondaine, mais pas non plus avec une industrie dont les côtés déshumanisants le révoltaient, un siècle avant Zola. Toute sa vie a été vécue au rythme du pas ; c'est en marchant qu'il découvre la nature, les gens, les paysages : « La vie ambulante est celle qu'il me faut. »

Le cadre bucolique du XVIIIe siècle ne lui fait pas oublier que le peuple des ruraux doit non seulement se nourrir lui-même, mais entretenir toute une classe d'oisifs ; dès lors, son attachement à la terre est indissociable du Contrat social entre les humains, nés libres et égaux en droits et qui doivent le rester. Au-delà de ses contradictions et d'une certaine naïveté, sa spécificité est bien d'être à la charnière entre les mondes : l'ancien et celui de la révolution politique - et surtout économique - dont il a pressenti le caractère unilatéral. « Bien que vous apparteniez clairement aux Lumières, vous ne vous êtes pas précipité dans une vision purement rationaliste et matérialiste comme l'ont fait la plupart des progressistes de votre temps » ; Rousseau plaide « pour un équilibre entre le coeur, les sentiments, la sensibilité, l'intuition et la raison ».

Adepte des méthodes scientifiques, il se passionne pour la botanique, défend Linné, est musicien et, croyant, voit dans la Nature la main de Dieu : « J'aperçois Dieu partout dans ses oeuvres. » « Vous avez été l'un des rares esprits des Lumières qui exprime une réelle mystique », qui nous rappelle qu'« il existe un autre modèle, une autre évolution possible », écrit l'auteur.

La nature est bien plus humaine que les humains et nous lui devons tout : elle « constitue le fondement de l'écologie et de la vie ; elle régule le climat, régénère l'eau, épure l'air, recycle les déchets et nous comble de toutes les ressources vivantes, sans oublier ses dimensions récréatives, esthétiques et spirituelles. » Elle « saura remettre l'homme à sa place, s'il ne le fait pas lui-même assez tôt ».

Rappeler en cette année Rousseau cette dimension essentielle du jubilaire et qu'« il n'y a pas de possibilité que l'humanité retrouve un équilibre avec la nature, si nous ne travaillons pas simultanément à notre harmonie intérieure », c'est donner au tricentenaire une touche particulièrement actuelle. Et c'est l'habiter d'un sentiment d'urgence devant la mise à sac de la Planète pour nourrir nos faux besoins. Car, dit Philippe à Jean-Jacques : « Ce n'est pas vous qui délirez, comme beaucoup vous en ont accusé, mais bien la société. »

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