Ces dernières décennies ont connu un accroissement spectaculaire des rendements agricoles suite à la mécanisation, l’agrandissement des parcelles, la sélection génétique des animaux et des plantes en fonction de leur rendement, l’utilisation d’engrais chimiques et de nombreuses substances phytosanitaires.
Longtemps plébiscitée par une large partie de l’opinion, cette option privilégiant la quantité montre depuis quelque temps ses cotés négatifs: banalisation des paysages, évictions massives de paysans «pas assez» productifs, réduction impressionnante de la diversité génétique et des goûts, diffusion de polluants dans l’écosystème et le corps humain.
Le combat contre les pesticides
C’est cette dernière question que pose l’emploi de pesticides, utilisés pour protéger les cultures. Depuis la mise en évidence, en 1962, par la biologiste américaine Rachel Carson des effets de concentration, d’un facteur 100, à chaque étape de la chaîne alimentaire (organisme décomposeur->végétal->herbivore->carnivore), la polémique n’a plus cessé.
L’agriculture biologique, pour sa part, prouve depuis plus d’un siècle que nous pouvons nous passer d’intrants de synthèse (ce qui ne veut pas dire se passer de moyens de lutte). Notamment parce qu’elle mise sur des espèces naturellement résistantes et sur une bonne interaction entre elles.
Dans l’agriculture conventionnelle, les efforts tendent vers la réduction des quantités de pesticides utilisées et l’élimination des substances les plus problématiques. Plus d’une exploitation agricole suisse sur trois est en production intégrée, label qui vise à réduire les quantités et les toxicités. La réglementation se renforce et les molécules les plus toxiques sont peu à peu retirées. Mais quel combat à chaque fois!
L’affaire du glyphosphate (un herbicide), où de nombreux États européens ont refusé une législation européenne plus stricte, est dans toutes les mémoires. Ou celle des néonicotinoïdes (des insecticides) dont les risques pour les abeilles sont de mieux en mieux établis. Par ailleurs, l’approche reste très largement substance par substance, ignorant les effets de synergie, sensibles déjà à faibles doses.
Vaines promesses ou véritable engagement?
En septembre 2017, le Conseil fédéral suisse publiait son Plan d’action visant à la réduction des risques et à l’utilisation durable des produits phytosanitaires. Sa «mise en œuvre (...) permettra de réduire de moitié les risques qu’impliquent actuellement les produits phytosanitaires et de renforcer les principes de durabilité dans l’utilisation de ces produits», peut-on y lire.
Il est clair aussi que le consommateur devra accepter, s’il désire vraiment réduire les traitements chimiques des denrées agricoles, payer un peu plus ses fruits et légumes, car les rendements agricoles seront un peu plus faibles. Surtout, il devra accepter leurs petits défauts visuels. Je pourrais presque dire qu’une pomme parfaitement lisse est suspecte, qu’elle nous cache quelque chose...
Les objectifs retenus dans le Plan d’action pour les eaux superficielles et souterraines sont notamment de les protéger des atteintes nuisibles et de respecter les exigences concernant la qualité de l’eau exprimées en valeurs chiffrées à l’Annexe 2 de l’Ordonnance sur la protection des eaux. Trois objectifs intermédiaires sont également retenus : «La longueur des tronçons du réseau suisse de cours d’eau ne remplissant pas les exigences chiffrées de l’OEaux relatives à la qualité de l’eau est réduite de moitié d’ici à 2027. Le potentiel de risque pour les organismes aquatiques, selon un indicateur de risques (p. ex. Synops), est réduit de 50% d’ici 2027 par rapport à la valeur moyenne 2012-2015. Pour améliorer la qualité de l’eau potable, la contamination des eaux souterraines par des produits de dégradation de produits phytosanitaires considérés comme non pertinents diminue nettement d’ici à 2027 par rapport à la situation en 2017.»
Or, dans une consultation lancée le 23 novembre (et qui a pris fin le 14 mars) au sujet d’une adaptation de cette Annexe, on découvre que pour 26 des 38 pesticides pour lesquels de nouvelles valeurs limites sont proposées, les exigences seraient révisées à la baisse! Le rapport explicatif l’admet ouvertement: «Pour la plupart des 38 substances actives de pesticides maintenant réglementées, la nouvelle exigence chiffrée sera en outre plus élevée que la valeur en vigueur actuellement de 0,1 μg/l. En conséquence, le nombre des dépassements effectifs des seuils fixés aura plutôt tendance à diminuer dans les eaux superficielles par rapport à maintenant.» C’est tout simple: il suffit de relever le seuil de tolérance pour réduire la statistique des dépassements...
Attitude que le WWF, dans un communiqué de presse récent, critique vertement : «Dans le cas du glyphosate, par exemple, la valeur limite doit être augmentée 3600 fois (...) Actuellement, la valeur limite pour les pesticides est de 0,1 microgramme par litre d’eau. Pour le glyphosate, cette valeur grimperait ainsi à 360.» L’ensemble «contredit clairement les objectifs supérieurs de la Loi sur la protection des eaux et le principe de précaution».
Cherchez l’erreur
Quelle crédibilité accorder à des autorités qui, dans un Plan d’action, s’engagent à mieux protéger les eaux et, dans un projet d’ordonnance, vont exactement dans le sens inverse? Quelle est ici la vraie position des décideurs politiques? La seule attitude défendable et cohérente est de renoncer à ce projet de relativisation des valeurs-limites.