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mardi, 31 mai 2022 10:39

Schuman, la politique pour vocation

RobertSchmanLa trajectoire de celui que l’Assemblée européenne (qu’il a présidée en 1960) a nommé le Père de l’Europe est emblématique des raisons d’être du projet politique européen et de ses difficultés. Né en 1886 à la confluence de trois États européens, l’Allemagne, le Luxembourg et la France, ce Lorrain portera la nationalité allemande les trente-trois premières années de sa vie. Un héritage de la guerre franco-allemande de 1870.  Un livre récent dresse le portrait spirituel de cet homme politique chrétien.

«Chez les Schuman à la maison, on ne parlait ni l’allemand, ni le français. La conversation se faisait en francique mosellan, un dialecte très proche du luxembourgeois.» Élu durant quarante ans (!) de sa circonscription largement germanophone, dans cette «Lorraine, terre d’entre-deux, où les cultures française et germanique se mêlent harmonieusement», Robert Schuman parvint à préserver pour l’Alsace-Lorraine quelques particularités juridiques qui persistent à ce jour, exception notable dans une République centralisatrice.

Ghislain Knepper, membre de l'institut «Saint Benoît patron de l'Europe» qui porte la cause de béatification de Robert Schuman, dresse dans cette biographie le portrait d'un homme dénué de tout goût pour l’emphase rhétorique, qui «n’aimait pas briller» et était d’un abord à la fois réservé et respectueux pour toute personne. «Son honnêteté, sa droiture et sa probité faisaient sa force», «il n’y avait en lui aucun sentiment de haine ou de mépris» et «il concevait d’abord sa mission d’homme politique comme un sacerdoce». Une déclaration qu’il fit en décembre 1949 devant l’Assemblée sonne comme un avertissement: «Comprendre les difficultés, non seulement les siennes, mais aussi celles des autres, c’est peut-être une des qualités primordiales des hommes politiques responsables.»

La Seconde Guerre mondiale contraint Robert Schuman à une semi-clandestinité, puis il occupera, dix ans durant, de hautes fonctions gouvernementales: président du Conseil en 1948, ministre des Affaires étrangères durant quatre ans puis de la justice durant un an. En 1956, ses soupçons de dérapages de la part des forces de l’ordre en Algérie lui valurent de perdre son portefeuille. Puis, de retour au pouvoir, le Général de Gaulle le remercia brutalement.

Guidé par sa foi et la doctrine sociale

Robert Schuman était entièrement guidé par sa foi dans son exigence morale à servir son pays et son peuple, à travers la pratique fréquente de la prière et la communion quotidienne avec Dieu: «Il fit de la prière un moyen d’union à Dieu, en tout temps, en tout lieu.»

«Il ne sortait jamais sans son chapelet» et «commençait invariablement ses journées par la méditation d’un texte de la Bible».

«Le destin tragique de ses compatriotes lorrains morts sur les deux fronts avec des uniformes différents» l’a profondément marqué et il en conclut que «sans une réconciliation sincère et définitive entre Français et Allemands, une nouvelle union était inenvisageable». En septembre 1953, il déclara que «l’Europe devra cesser d’être un assemblage géographique d’États juxtaposés, trop souvent opposés les uns aux autres, pour devenir une communauté de nations, distinctes il est vrai, mais associées dans un même esprit défensif et constructif».

En 1950, il lança au nom de la France la Communauté européenne du charbon et de l’Acier: «Il ne s’agissait pas de concevoir une nébuleuse institutionnelle mais de créer un climat de confiance mutuelle sur la base d’une interdépendance économique limitée au charbon et à l’acier.». Plus tard, sa foi lui permit de surmonter l’échec de la Communauté de défense européenne et de la Communauté politique européenne, dont en 1954 le parlement français ne voulut pas.

En ligne avec ses collègues italien -De Gasperi- et allemand -Adenauer-, il s’agissait pour lui de définir une troisième voie entre le matérialisme américain et le collectivisme soviétique, thème dominant de la guerre froide entre l'Ouest et l'Est, troisième voie marquée par le christianisme social. «Le catholicisme n’est pas seulement une foi religieuse, c’est aussi une doctrine sociale», avait-il dit en 1920 à la Chambre des députés. Quelques décennies plus tard, dans Pour l’Europe, il écrira:

«La loi universelle de l’amour et de la charité a fait de tout homme notre prochain».

En cette période de la montée des périls, ce rappel  du dessein et du destin du Père de l’Europe vient à son heure. Et si à l’époque le principal adversaire de Schuman était le puissant Parti communiste, 5e colonne de Moscou, aujourd’hui ce rôle est dévolu aux formations nationalistes.

Schumann

 

Ghislain Knepper
Robert Schuman
La politique pour vocation
Paris, Salvator 2022, 152 p.

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