Guy Jobin, Des religions à la spiritualité. Une appropriation du religieux dans l’hôpital, Bruxelles, Lumen Vitae 2012, 100 p.
Pendant des siècles, la religion était à la base des hôpitaux où travaillaient souvent des religieuses. Au XXe siècle, la médecine « scientifique » a relégué le religieux dans la sphère privée, ne tolérant la religion que dans les aumôneries. Or, depuis deux décennies, la spiritualité, terme nouveau, a fait irruption dans les soins infirmiers, pour y occuper une place assez importante.
Est-ce un retour du religieux ? Faut-il que les croyants s’en réjouissent ? Guy Jobin, professeur à la Faculté de théologie de l’Université Laval à Québec, s’interroge sur les causes, les enjeux et les risques de cette spiritualité.
Dans un ouvrage clair, concis et très bien documenté, il constate que cette spiritualité est un concept qui diffère nettement de celui de religion. Cette dernière, dans le modèle dominant actuel, concerne l’individu, sa sphère privée et la communauté dont il fait partie. La spiritualité, par contre, est une composante de la nature humaine et dépasse les cultures ; elle est universelle, présente chez chacun. Elle ne s’oppose pas aux religions, elle les englobe plutôt. Cette spiritualité est fondamentale pour beaucoup de personnes, particulièrement pour les malades. On l’utilisera à bon escient, aux côtés de la psychologie et d’autres techniques de soins, pour soigner et guérir.
L’auteur, dans une passionnante seconde partie, relève les principales causes de l’émergence de cette nouvelle spiritualité. Le modèle biomédical basé sur la science, imprégné par l’utilitarisme anglo-saxon ; la vision esthético-médicale de Galien et de Vésale, tous deux admirateurs de la beauté des corps et de leur merveilleux agencement ; la pensée de Jean-Jacques Rousseau, inventeur de la « religion du cœur », opposée à la religion « dogmatique », telle qu’il l’a exposée dans la Profession de foi du vicaire savoyard ; la pensée de William James, théologien américain, qui a défini en 1902 l’expérience religieuse personnelle et la bonne santé religieuse, en opposition avec les religions officielles non exemptes de maladies.
Ce retour de la spiritualité laisse cependant un malaise, car il y a conflit entre deux camps. D’un côté les enthousiastes, qui considèrent la spiritualité comme un outil indispensable, conforme à la médecine holistique ; de l’autre, ceux qui y voient une intrusion dans la sphère intime des patients, en contradiction avec la morale hippocratique.
L’auteur présente différentes voies pour résoudre ce conflit. Enfin il s’interroge sur les conséquences à long terme de cette spiritualité qui s’est coupée complètement des racines de la tradition religieuse.