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mardi, 05 novembre 2013 09:15

La dévoration

Vaucher 44263

Myriam Vaucher, Dominique Bourdin, Marcel Durrer et Olivier Revaz (éd.), Foi de cannibale ! La dévoration, entre religion et psychanalyse, Genève, Labor et Fides 2012, 400 p.

Cet ouvrage, produit de trois années de recherches au sein de l'Association internationale d'études médico-psychologiques et religieuses, veut montrer que « la dévoration, policée ou sauvage, est bien plus active qu'on ne pourrait le croire dans la vie sociale, dans le psychisme individuel et dans nos références culturelles ».

Ses articles de 26 auteurs différents - la plupart psychanalystes mais aussi an­thropologues, médecins, philosophes et théologiens - sont très riches et pertinents. Cela dit, l'unité de ces contributions, très spécialisées, n'est pas facile à dégager. L'avant-propos heureusement donne une bonne vision d'ensemble.

Les réalités humaines soulevées (psy­chologiques, sociales et religieuses) renvoient à l'oralité selon l'approche psy­chanalytique freudienne, à des fonctionnements psychiques profonds, en bonne partie inconscients, mais dont une meilleure compréhension aide à une croissance, psychique ou sociale. Les chapitres sur l'eucharistie chrétienne sont particulièrement intéressants.

Freud avait théorisé (dans Totem et Tabou) sur un mythe originaire de meurtre d'un chef de tribu par ses fils qui le mangent pour s'approprier sa puissance : une autre façon de comprendre le péché originel. Mais Freud s'était arrêté là dans son analyse de la religion (basée sur la culpabilité, exprimant toutefois une certaine réalité psychologique). L'eucharistie chrétienne apporte - selon l'article très éclairant de Thierry de Saussure, psychanalyste et théologien - une voie de sublimation aux pulsions de dévoration et permet de se libérer des fantasmes de toute-puissance : l'objet du désir n'est pas détruit (résurrection), car on ne peut tuer Dieu, et la personne de Jésus peut être intégrée comme modèle de la relation et du service aux autres.

F. X. Sanchez Hernandez, philosophe et théologien, rappelle pour sa part que pour Levinas, « l'autre », représenté par le visage, est le fruit qu'il est interdit de manger. Sur le plan de la vie sociale et culturelle (article de R. Briones Gomez, anthropologue), l'enjeu est de pouvoir établir une « communication créative » dans la rencontre des différences acceptées qui permette une fertilisation croisée (des cultures, des religions et des personnes). Manger ensemble contextualise et favorise la communication.

L'ouvrage se termine par une intéressante analyse (de C. Dominingez Morano, jésuite et psychanalyste) du manger et du boire dans le cinéma. Plusieurs films mettent en relief l'ambivalence de l'oralité entre pulsion de dévoration (mort, destruction) et pulsion de vie (plaisir, relation). Le festin de Babette témoigne de cette ambivalence (avec rivalités et rigidité morale), néanmoins au service de la vie. Il devient par-là une métaphore de la cène chrétienne : la table en tant que lieu où Dieu se rend présent et se fait connaître.

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