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lundi, 03 juin 2019 11:26

Équilibre et ouverture

Chemin de Saint-Jacques de Compostelle © Barbara Castello / GodongL’être humain se développe tout au long de sa vie dans la relation avec son environnement, dans une articulation constante entre son équilibre personnel et les autres. Inutile de définir ce qui est premier, l’autre ou soi-même. Ce va-et-vient entre la sécurité personnelle, intérieure, et la découverte extérieure, l’ouverture, est vital.

Raphaël Broquet est théologien et psychotérapeute à Genève. En plus de sa pratique de psychothérapeute, il propose des accompagnements spirituels au Domaine Notre-Dame de la Route, à Fribourg (agenda ici).

Dans le repli, la vie humaine s’appauvrit, et dans l’excès de confrontation à la différence, un stress peut s’installer. Il y a enrichissement lors-que ce qui est autre, dépaysant, peut être intégré (digéré) dans une nouvelle unité personnelle. Et si celle-ci ne peut s’enrichir à nouveau de l’extérieur, de l’ailleurs, elle dépérit. Nous en faisons tous l’expérience: il y a des périodes où nous avons besoin de nous arrêter un moment, de laisser reposer corps et esprit, et d’autres où nous ressentons celui de repartir, de sortir de nos routines trop connues, de nous lancer de nouveaux défis et de découvrir de nouveaux horizons.

D'éveil en éveil

Le début de la vie humaine commence par l’expérience d’un équilibre harmonieux (la vie intra-utérine), d’une relation particulière, fusionnelle, protégée du monde extérieur. Celui-ci n’est pas complètement absent, il est déjà un peu perçu. Puis vient le moment où il n’est plus possible pour le bébé de rester dans cet état, au risque de mourir, avec la nécessité de sortir, de naître à un autre état, un autre environnement, littéralement un autre monde avec lequel le choc est inévitable, voire le trauma. Mais quelle découverte, quelle lumière, quels êtres magnifiques!

Quand les stress (et les peurs) deviennent trop importants, le tout-petit aspire à revenir en arrière, à son état premier, pour retourner à la sécurité et la chaleur du cocon. Heureusement, le sommeil réparateur l’y replonge un peu. Mais de nouveau, à chaque nouvel éveil, ce sont des élans retrouvés. Il y a trop à découvrir pour rester replié! Et ces êtres à aller chercher!

Dans sa conquête du monde, l’enfant aura constamment besoin de retourner à la sécurité familiale, pour mieux repartir vers l’école, les amis, les richesses langagières et symboliques. Son espace de mouvement et d’action s’élargira toujours plus: il aimera explorer d’autres lieux et, à l’adolescence, d’autres cultures, de nouvelles sensations. Il cherchera sa place dans le monde pour le changer, pour le faire advenir autre (le monde et lui-même), mais dans ses luttes, il aura toujours besoin de revenir à ses bases, ses acquis, ses racines.

Une énergie à conquérir

L’adulte, ayant trouvé sa place dans le monde (cela dit, toujours à reconquérir), a pour sa part besoin de se changer les idées, de varier ses activités. Dans sa recherche bien naturelle de stabilité et de sécurité, il risque de perdre de l’intérêt, de s’enfermer; ses «passions» l’aideront à retrouver du goût et du sens. La fermeture peut être spatiale, culturelle, idéologique, voire inhérente à l’ensemble de la personne… un esprit qui perd du souffle. Parfois le besoin de sécurité est si prégnant que l’adulte cherche à se protéger de ceux qui sont trop différents, de ce qui le remet trop en question, qui questionne trop les conforts, parfois lâches, de nos sociétés d’hyperconsommation et du cocooning.

Or, pour retrouver une énergie vitale, l’esprit humain doit se ressourcer sur les plans relationnel, intellectuel et spirituel. Une lecture ou une rencontre providentielle peut le dépayser autant qu’un voyage au bout du monde. Et pour ceux qui aiment bourlinguer, respirer le grand large, il y a toujours du nouveau qui les attend. Le monde est si vaste !

Mais là encore, la fermeture est à l’affût. Dans cette sortie de lui-même, le voyageur contemporain sait qu’il risque d’être dérouté, bousculé. Mis à part quelques aventuriers un brin rebelles et téméraires, il cherchera le plus souvent à amener avec lui son confort, ses habitudes: un peu de dépaysement, mais pas trop tout de même! Le danger de se cloisonner par peur, par manque d’énergie le guette, alors que ce sont justement les ouvertures qui peuvent lui redonner courage et dynamisme.

Défier la sclérose

La personne du troisième âge, avec la retraite et la fin de la nécessité du train-train laborieux, voit s’ouvrir devant elle de belles occasions de changements. Elle pourra s’offrir les voyages qu’elle n’a pas eu le temps de réaliser jusque-là, se lancer dans l’aventure un peu folle d’un chemin de Compostelle entrepris d’une seule traite, jusqu’au cap Fistera, la fin de terre, où le large de l’océan rejoint le Nouveau Monde. Sans parler de toutes ces lectures laissées en plan, de ces amis devenus lointains et qu’elle veut revoir… et dont les retrouvailles lui font constater à quel point le temps transforme les êtres et les relations.

Mais, là encore, si les potentiels augmentent avec l’âge, c’est aussi le cas des reculs. Avec le corps qui s’affaiblit, la sclérose, qui avait déjà commencé dans les démissions de la vie d’avant, risque de s’installer au propre et au figuré. Un besoin accru de sécurité, d’un environnement stable peut mener les plus âgés au repli et au découragement. Un défi les attend: ne pas se laisser aller, chercher constamment des stimulations, de nouveaux intérêts, d’autres idées, des rencontres pour se ressourcer. Le potentiel de développement humain ne s’arrête pas avec l’âge, il change peut-être d’accent: la vitalité intellectuelle et relationnelle contribue à la vitalité du corps et du cerveau.

La place de l’autre

Dans ce va-et-vient qui nous accompagne toute notre vie, l’autre a une place particulière. Lors des difficultés d’aller de l’avant, les encouragements de notre entourage, l’écoute, la bienveillance, la solidarité sont importants pour surmonter les peurs, les doutes, pour sortir du repli. C’est nécessaire au développement de l’enfant, mais aussi à tout âge.

Quand les penchants à la non-naissance s’installent, les chocs des nouvelles naissances sont toujours un peu douloureux. Les épreuves, qui sur le moment peuvent paraître des non-sens, avec le temps, le recul -si le temps a été réparateur, si les circonstances le permettent- peuvent être relues comme des facteurs de croissance. Le monde extérieur, autre, inconnu, nous interpelle toujours, nous bouscule, voire nous choque, mais nous invite aussi à la croissance. La vie trouvera toujours un moyen de nous le rappeler, de ne pas nous laisser enfermer. Des évènements déroutants nous obligeront à sortir de routines trop bien établies. Des paroles et des avis nous bousculeront, nous remettront en question.

Nouvelle naissance

Le passage de la naissance, de l’eau à l’air et à la terre, semble indiquer que toute nouvelle naissance oblige à un changement radical d’élément. Cela peut nous sembler comme un feu à traverser, surtout pour le dernier passage qui, à l’instar du premier, nous mènera vers une totale inconnue. Mais une fois dans le nouvel élément, les surprises n’ont-elles pas été nombreuses et quasi infinies? Même dans le dépaysement extrême, un nouvel équilibre vital peut se trouver.

Au cours de la vie, où tant d’épreuves ont été surmontées, où des naissances nous ont fait découvrir l’inouï, un sentiment de confiance peut alors se créer: celui d’une union «sacrée», d’une alliance mystérieuse, entre le plus profond de soi, avec ses besoins et ses aspirations, et le plus extérieur à soi, le réel, les autres, l’inconnu, préparant à toutes les rencontres possibles, les plus ultimes, les plus dépaysantes. 

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