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mardi, 05 novembre 2013 09:38

Adolescence en Tchétchénie

Jerebtsova 44607

Polina Jerebtsova, Le Journal de Polina. Dédié aux dirigeants de la Russie d'aujourd'hui, Paris, Books Editions/France Culture 2013, 560 p.

L'auteur a vécu les deux guerres de Tchétchénie, mais ce journal ne couvre que la seconde, celle allant de 1999 à 2002. Agée de 14 ans, vivant seule avec sa mère, Polina décrit jour après jour l'horreur de ce qu'est une guerre, vécue à l'intérieur d'une ville bombardée, détruite, où les gens commencent par s'aider puis, la tension et la faim se conjuguant, deviennent odieux et méchants. La journaliste Anne Nivat, qui était sur place fin 1999, dit qu'elle n'a jamais vécu pire que ces longs mois d'hiver qui pourtant, selon le Journal de Polina, sont encore « vivables » comparés à ceux qui suivront. La vie dans la guerre est une autre vie !

Pour protéger Polina des ivrognes qui la lorgnent, la mère colle sur son visage des miettes de pâte pour l'enlaidir. Les rues, les maisons dégagent une odeur de mort. La mère perd peu à peu son équilibre mental, devient odieuse. Polina, se sent seule... seule à jamais. Elle trouve refuge dans l'écriture, dans des poèmes qu'elle apprend par cœur et dans la prière. Elle s'accroche au souvenir d'un jeune homme qui a été bon pour elle, qu'elle nomme Aladin et dont elle espère vainement le retour. Alors que les murs de l'appartement s'écroulent, elle trouve un poème de la poétesse russe Akhmatova qu'elle déchire d'un livre utilisé par sa voisine pour nourrir son feu. Un vrai miracle, écrit-elle !

En octobre 2000, Polina peut retourner à l'école. Elle apprend ses leçons, boit du thé, mange un chausson dans le couloir, tout en observant la famille de rats qui habite leur cuisine détruite. Le marché est pillé, impossible d'acheter de la nourriture. Et pourtant, un jour, on lui offre dix bonbons ! Deux semaines plus tard, un immeuble voisin est bombardé et des enfants en bas âge périssent. Dans la queue où elle attend son allocation, une femme remarque son blouson déchiré et reprisé. Elle revient avec un manteau blanc qu'elle lui offre, celui de sa fille de 17 ans, décédée. Pourtant, à quelque temps de là, Polina note : « Il ne reste plus personne d'honnête, de juste, de courageux autour de nous. Nous vivons dans un chaos macabre, barbare et mauvais. »

Elle se sent dans un désert... Personne à aimer... et elle écrit : « Dans un pays de contes et de saphirs, je voyagerai au bout de la nuit. » Mais où se trouve ce pays ? Elle est si fatiguée du mal qui l'entoure. Elle a des maux de tête atroces et ses cachets ne sont pas efficaces. « L'enfer est ici sur terre et c'est dans mes rêves colorés et lumineux que je me réfugie. »

Paulina se sent témoin. Il lui faut tout noter, tout raconter. Elle lit beaucoup aussi, cite Aristote, Mme de Staël, Vol­taire, Shakespeare, Confucius, Kant et Sénèque. Son journal se termine le 29 décembre 2002.

Polina a maintenant 28 ans et vit en Finlande où elle a obtenu avec son mari l'asile politique. Elle espère publier l'intégralité des 14 tomes de son Journal qui couvrent dix ans de guerre.

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