Sylvoisal, Chansons de geste, Le Cadratin, Vevey 2014, 76 p.
« Homme sans descendance sous un plafond d'ancêtres, à d'autres qu'à mes chiens, que pourrais-je bien dire » ? Ces 76 pages d'une poésie en prose, chant épique aux temps préchrétiens d'Orient, entraînent le lecteur dans une somptueuse évocation.
L'époque est sauvage et sans compromis, l'ordre qui préside aux destinées est immuable, tant dans sa cruauté que dans ses révélations. Temps de guerres, de conquêtes, de jougs et d'esclaves, de lignées. Temps absolu. Les mots du poète sont des arcs tendus, ils sont d'une force toujours renouvelée au fil des pages. Chanson de geste, la geste d'une épopée, le chant d'une fresque humaine et d'une quête folle : conquêtes, croisades. « Allez ! Allez ! Gens de partout, venus d'ailleurs, mes serviteurs, dites aux ronces, dites aux pierres et aux orties, dites aux crapauds et aux lézards, aux orvets, aux vipères : "L'homme né de la femme et qui monte à cheval naîtra demain de Dieu !" »
Chant prophétique dans une langue sublime, auprès de laquelle le mot poésie sonne mièvrement. « Je veux qu'on crucifie mille éléphants ce soir aux portes de Carthage, disait Scipion », le vainqueur de Carthage. A ces grandes épopées, il est rendu tribut d'un seul jet. Au sort des femmes, dans ces temps violents, comme à celui du tyran ou du vaincu.
Au fil des lignes, les yeux écarquillés, on avance dans des incantations et des récits qu'Homère, Pasolini ou Shakespeare, qui n'avaient pas peur de raconter sans fard, auraient aimés. Il y a de l'ogre dans cette prose, du Hannibal ou du Richard III dans ces images d'un ordre antique. Mais l'odeur des lys, la fuite d'un cheval au galop, la brebis blessée qu'on tient dans ses bras, l'amour pur entre amant et amante, tout cela est aussi dans ces lignes qui secouent le lecteur, dans un style qui vise sa cible d'un coup. « Le roi rentrait de guerre au son du tambourin, et l'aigle au vol rapide annonçait sa venue. »
Le deuxième récit conte le passage d'un royaume à l'autre : celui des guerres (car tels étaient les temps anciens) à celui de Dieu, des dieux. Tel ce roi qui ordonnait en tout et qui finit dans le reniement des fastes et du pouvoir, optant pour l'ascèse et le rien, qui est tout. Le récit s'intitule Qu'un chant pour lui se fasse entendre, celui qu'un scribe au crâne rasé raconte en donnant la parole à des femmes, servantes ou reines, qui ponctuent les faits comme un chœur antique. On est là dans une poésie strophique, proche du verset claudélien. « Après le meurtre et la luxure, voici l'honneur et le désert et le pain qu'on mendie. »
Entre les deux longs chants épiques, un poème, Chanson, qui condense en une forme plus contrainte (l'octosyllabe) les mêmes thèmes. Estourbissant. Edité aux Presses du Cadratin, chez l'un des derniers artisans imprimeurs.