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mardi, 04 novembre 2014 13:47

Voyage, voyage

sans couverture 1Vincent Robin-Gazsity, L'art d'user ses babouches. Tribulations sur la Route de la Soie, photographies de Florian Molenda, Genève, Olizane 2014, 312 p.

« Rien ne m'empêchera de me payer le luxe d'une longue marche au milieu des fantômes scythes, des Parthes, des Sassanides, de respirer l'Histoire dans la poussière blonde des vallées. Peu importe les risques, je suis envoûté. »
Pour se perdre « dans les chères étendues sauvages », Vincent Robin-Gazsity est parti de Chine avec son ami Florian Molenda et sa guitare, pour un long voyage jusqu'en Europe, à pied, en bus, en train, en autostop. Si la nature a gardé son charme et sa rudesse (déserts du Turkestan ou plateaux glacés du Pamir), la réalité politique des républiques de l'ex-URSS, la laideur des constructions en béton, les lenteurs administratives pour les visas... ont déconstruit les mythes, sapé les rêves. « Que je le veuille ou non, le monde se transforme, tout est chamboulé (...) L'Europe s'endort, l'Asie s'éveille et les Chinois bétonnent la Route de la Soie qui, comme toujours, regarde sans rien dire l'ascension et la chute des empires. » Tout change si vite.
Vincent Robin-Gazsity se réfère à Nicolas Bouvier, dont il croise les pas anciens, pour réfléchir au sens du voyage. « Le voyage soulève violemment les voiles qui couvrent la réalité, balaye d'un revers de main les légendes, les contes, les fantasmes, tire à boulets rouges sur la magie de l'ailleurs, chamboulant jusqu'au mystère con­tenu dans le mot voyage lui-même. » Le touriste et le mossofer (nom que l'on donne aux voyageurs dans l'arabe du Coran) ne font pas bon ménage sur certains lieux touristiques (Boukhara). Nos marcheurs les fuient.
La population cependant est accueillante. Assoiffée de contact, elle donne un coup de main, ouvre ses maisons et nourrit le voyageur qui fait l'effort d'apprendre le vocabulaire de base des pays traversés et qui, grâce à la guitare, entrouvre la communication.
Ce récit est passionnant et il est bien écrit. L'auteur ne cache pas les difficultés du voyage, mais il le fait avec humour et curiosité. Les descriptions à la fois géographiques, historiques et politiques se mêlent aux interrogations brisant les certitudes. L'empathie pour les gens rencontrés ou la rage contre ceux qui abusent rend le récit vivant. Il n'y a aucun orgueil, mais une humilité dans les difficultés.
« J'ai l'impression d'avoir laissé des morceaux de moi tout au long du chemin. Une bonne partie doit se trouver en Chine, sur les trottoirs illuminés de Jinan, je me suis égrainé dans les montagnes tadjiques et dans les déserts ouzbeks, un peu de mon cœur traîne aux alentours de Tabriz et un éclat de mon nez est sans doute resté sur les bords du Bosphore... En même temps, je reste comblé de mille rencontres, de mille visages, ébloui de paysages, de couchers de soleil, rêvant de loups. Toutes ces richesses, qui ont vidé mon porte-monnaie au fur et à mesure qu'elles nourrissaient mon âme, m'ont transformé. »
Une seule petite critique qui vise l'édition : la carte, à la pliure du livre, est illisible !

 

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