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lundi, 13 juin 2022 17:09

Déesses profanées

makolli DessesProfanees«Élégie aux vingt mille femmes albanaises violées par l’arme et la police serbes dans la guerre du Kosovo de 1998-99.»

La dédicace de ce livre laisse prévoir l’horreur des viols. C’était au Kosovo, mais ce pourrait être partout ailleurs où une guerre est déclenchée. La barbarie, les brutalités, les viols accompagnent les génocides pour asservir plus fortement si besoin en était la population civile. L’auteur, kosovar émigré en Suisse, hurle son dégoût pour cette tragédie dans des poèmes poignants, tout en se sentant culpabilisé par son exil qui l’a empêché de protéger ses proches. 

Le viol est le paroxysme de la violence dans tout foyer «pillé, détruit, brûlé; torture et mutilation». Ces poèmes sculptés par une âme «plongée dans la mort de l’univers» sortent du silence telle «une ballade des vingt mille douleurs/dans le long concert de la mort».

Sa blessure ne guérira jamais. «Comment survivre au mal le plus terrible, où la lumière se perd dans «les errances de la vie»? «Après la liberté, que faire de la vérité? […] Faut-il tout pardonner/jamais rien oublier?» Devenu ombre de lui-même, «un mort vivant», il sera toujours «un misérable pèlerin/qui voyage en traînant ses os séchés/sur les chemins des grandes douleurs inachevées». Il ne lui sera plus possible de «rapiécer [sa] conscience troublée».

J’avais découvert, pendant la guerre en ex-Yougoslavie, la tragédie de ces viols de guerre, grâce à l’ACAT. Ces poèmes, avec leur puissance d’évocation, devraient hanter nos nuits étoilées, pour ne pas occulter ces gouffres d’horreur, ceux des femmes violées et ceux des enfants nés de ces actes brutaux. Ils ont le mérite de ne pas taire cette réalité. «Un chant grave module une expérience personnelle, mais d’une vaste portée», écrit Bertil Galland dans sa préface. Une poésie qui ouvre les cœurs à l’universel de l’indicible.

Shemsi Makolli, Déesses profanées, préface de Bertil Galland, Vevey, de l’Aire 2022, 64 p.

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