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mardi, 19 juin 2018 14:28

Recensions n° 688

Sous la direction de
Odile Hardy
Le Transhumanisme
Homo novus ou fin de l’homme ?
Les Plans-sur-Bex, Parole et Silence 2017, 174 p.

Ce livre présente les actes d’un colloque qui s’est tenu en octobre 2015. Il contient six contributions, les unes cherchant à définir le transhumanisme, les autres l’évaluant du point de vue chrétien. Ainsi l’homme nouveau, est-il de l’humain en continuité ou de la machine en rupture? Le christianisme parle moins de l’homme augmenté que de l’homme transfiguré, souligne Jean-Marc Moschetta, l’un des contributeurs. Et Jean-Michel Maldamé, dans La foi au défi du transhumanisme: le corps humain entre désir et réalité, met en évidence que le transhumanisme ne voit le corps qu’au prisme de la performance, comme une extension du projet eugéniste : corriger et prolonger la vie dans une perspective hédoniste. Il n’est plus question de finitude dans le transhumanisme ; nous sommes dans une projection nostalgique qui va du pareil au même. Le post-humanisme cherche à dépasser la condition humaine et à faire émerger une nouvelle humanité. Le corps y est considéré comme une machine.

Mais que fait-il, par exemple, de la mémoire humaine, qui est une sélection permanente, et de l’oubli, qui est signe de santé? Le corps n’est ni un objet ni un tout, il est présence d’un être qui a la capacité de s’éprouver soi-même comme vivant. Le sentir, les émotions sont une manière d’habiter le monde. Et l’émotion ouvre la voie de la conscience de soi. L’utopie transhumaniste se prolonge jusqu’à vouloir surmonter la mort. La foi en la résurrection, elle, prend acte de cet irrévocable. La mort est déjà dans le vieillissement. Le posthumanisme est un projet né de la convergence des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’intelligence artificielle et des sciences cognitives. La technoscience recherche des concepts opératoires: il s’agit de formaliser pour finalement utiliser la mathématique. La réalité pourtant ne peut être réduite à cette dimension qui exclut l’intériorité.

Une autre contribution s’intéresse au transhumanisme au cinéma, de Metropolis à Avatar. Une autre le traite en relisant Bernanos et Jean Rostand. Le livre a quelques notes et une bibliographie générale. Même s’il est parfois dense, il est tout à fait lisible et éclairant.

Jean-Daniel Farine

 

Thierry Magnin
Penser l’humain au temps de l’homme augmenté
Paris, Albin Michel 2017, 304 p.

Dans ce bel ouvrage, l’auteur donne à penser l’homme comme un être d’accomplissement, qui réalise et transcende l’idée prométhéenne d’augmentation de l’humain, appelé à exister comme un soi en relation vivante avec les autres. L’homme demeure de part en part un être vulnérable, dont la transcendance n’est jamais prétentieuse ou violente.

Au bénéfice d’une longue expérience en physique, en théologie et en éthique, l’auteur conduit pas à pas une critique minutieuse et fondamentale du transhumanisme à la mode, tant dans la science que dans l’idéologie. Marqué par le philosophe Jean Ladrière et par de nombreuses rencontres avec des chercheurs et des savants, il sonde les développements actuels les plus pointus des technologies et de la psychologie, afin de déboucher sur une anthropologie théologique plus différenciée, à même de dépasser les écueils du transhumanisme.

Ce dernier apparaît comme dangereux, aussi bien dans sa prétention de résoudre tous les problèmes de l’homme que dans sa tentation de viser à une immortalité irrespectueuse des limites de l’homme. Le transhumanisme voit l’homme comme un être qui veut jouer à Dieu, là où le christianisme saisit l’humain comme le lieu d’un accomplissement, de ce que d’autres auteurs ont appelé une transcendance dans l’immanence (voir nos propres réflexions « Human Enhancement, divinisation de l’homme et théologie de l’intensité », in Études théologiques et religieuses, 2014/4, pp. 495-508).

Ce livre limpide et précis vient à point nommé en un temps où les spéculations ésotériques et scientistes semblent vouloir se fondre en une synthèse fascinante et trompeuse.

Denis Müller

 

John D. Caputo
La faiblesse de Dieu
Genève, Labor et Fides 2016, 488 p.

Ce philosophe américain de la religion développe la thèse qu’il faut quitter l’idée que Dieu est une entité, un être suprême, voire le Pantocrator. Le nom de Dieu est celui d’un événement fragile et faible. Cet événement recèle ce nom, le révèle et le magnifie. La théologie est l’herméneutique de cet événement, qui se fait l’avocat de la faiblesse.

L’auteur s’appuie sur saint Paul : le message de la croix est un message de folie ; et sur Jacques Derrida : Dieu est une force sans pouvoir. Il s’élève contre la théologie du sacrifice et du repentir pénal qui dit que Dieu offensé a envoyé son Fils pour réparer une offense qu’aucun être humain ne pouvait réparer.

John Caputo étaye son propos en s’appuyant sur les textes de l’Évangile qui présentent le Royaume de Dieu : royaume de don et de pardon, non pas d’échange ou d’économie (ni d’économie du salut…). En cela, il dit que la théologie, après Freud et Nietzsche, après Auschwitz, doit penser Dieu autrement, car la monnaie d’échange du Royaume n’est pas la souffrance, c’est la monnaie perdue de Luc (Lc 15). Le pardon de Jésus donné sur la croix aurait dû désamorcer toute tentative théologique de penser Dieu comme un Être suprême offensé, car en Jésus l’offense rencontre le pardon. Les récits évangéliques doivent permettre aux théologiens de revenir à l’impensable, à la folie de Dieu, à la faiblesse que représente l’incarnation de Jésus le Christ.

Se penchant sur la problématique du mal, l’auteur relit les récits de miracles qui transforment la vie jusqu’à l’impossible de la résurrection. Devant le tombeau de Lazare, Jésus pleure face au malheur… Dieu est là dans toute sa faiblesse face au mal intrinsèque du créé.

Anne Deshusses-Raemy

 

Jean-Yves Leloup 
Les portes de la transfiguration 
Paris, Albin Michel 2018, 154 p.

Jean-Yves Leloup, docteur en théologie, philosophie et psychologie, nous entraîne, en bon thérapeute et avec le talent qu’on lui connaît, à ouvrir les portes de la perception avant de nous engager sur les voies de la transfiguration.

«La vie s’éprouve à travers nos sens: selon l’ouverture et la capacité de nos instruments de perception le monde apparaît différemment.» Quelles sont les portes de la transfiguration ? Ouvrir les sens à l’invisible, au silence, à l’impalpable, aux saveurs, aux parfums, à une jouissance de communion, au-delà du connu ; garder le cœur et l’esprit dans l’ouvert; s’incarner dans la Vie, la conscience et l’Amour; ici, maintenant et toujours. Dans un digne souci de pédagogie, l’auteur analyse chacune des «ouvertures» dans le même processus de sept étapes que chacun peut développer selon ses soucis et intérêts.

Quant à la voie de la transfiguration, de metamorphosis, elle est une voie d’intégration, d’acceptation … dans la pratique du silence et de la méditation qui laisse surgir la Lumière. «Tout est à transformer en conscience et en amour, c’est-à-dire en Lumière.»

Les connaissances bibliques, patrologiques du prêtre orthodoxe, ses connivences avec les grands mystiques, ses expériences du mont Athos nous ouvrent une voie de Lumière. Il peut alors nous plonger dans les textes bibliques: le Prologue de Jean, le récit de la Transfiguration dans les synoptiques, en lien avec les expériences de Moïse et d’Élie. Alors, dans une certaine qualité d’être et de vision, la lumière se révèle dans la matière, l’Esprit dans un corps, l’Éternel dans le temps, l’infini dans la finitude. «Il ne suffit pas de voir la lumière, il faut devenir la lumière.»

Ce chemin de transformation de l’être humain proposé par l’Évangile peut se résumer en: «Viens - vois - écoute - va / Dans la lumière / tu verras la lumière.» Un essai qui ouvre les horizons, avec compétences et pertinence, loin de toute intelligence artificielle, non pas au «post» mais au «plus» humain.

Marie-Thérèse Bouchardy

 

Alain-Marie de Lassus
Marcher vers la sainteté
Paris, Salvator 2017, 192 p.

«Vous êtes tous convoqués à la sainteté», affirmation qui peut surprendre notre petite personne. Mais l’auteur nous montre les avantages d’un tel cheminement, qui nous libère jusqu’à nous faire parvenir à être pleinement enfants de Dieu.

Frère de Saint-Jean, Alain-Marie de Lassus revisite des textes de l’Ancien Testament et nous invite à « marcher » avec Dieu, comme le fit Hénoch, Noé, Abraham et le peuple d’Israël sous la conduite des prophètes. Abraham commença ce compagnonnage avec Dieu à 90 ans: il n’est jamais trop tard!

Le Nouveau Testament précise cet appel à la sainteté. Il n’est plus simplement demandé de «marcher en présence de Dieu», mais de «suivre» le Christ, car c’est le Seigneur lui-même qui montre le chemin. Saint Paul poursuivit sa course, sans se lasser, entièrement tendu vers le Christ. L’apôtre enseignait aux Éphésiens que le chrétien est un fils adoptif de Dieu appelé à être «saint et immaculé». Matthieu, en une formule lapidaire, invite à être parfait comme le Père céleste est parfait. Le moyen le plus sûr est de chercher dans son comportement à imiter Jésus-Christ.

Peu à peu les préjugés envers un idéal de sainteté, qui paraissait inaccessible ou réservé à une élite, tombent. Nous nous sentons plus concernés, désireux de nous mettre en route sur ce chemin de perfection, qui ne peut être envisagé sans l’apport de la grâce divine. Grâce promise bien sûr par un Dieu infiniment aimant. Le Frère de Lassus étaye ses propos avec la longue expérience des Pères de l’Église et celle de spirituels comme saint Bernard, Thérèse d’Avila, Mère Teresa… Ce livre vivifiant est à même de favoriser chez son lecteur de multiples prises de conscience en vue d’une progression dans son cheminement.

Monique Desthieux

 

Thomas Römer
L’Ancien testament commenté. L’Exode.
Texte intégral Nouvelle Bible Segond
Genève/Paris, Labor et Fides/Bayard 2017, 192 p.

C’est toute la compétence du professeur de la chaire Milieux bibliques au Collège de France, Thomas Römer, que nous trouvons mise en œuvre dans ce deuxième tome de L’Ancien Testament commenté, après le premier consacré à la Genèse. Le principe est le même que pour Le Nouveau Testament commenté dirigé par Daniel Marguerat et Camille Focant (2012): l’ouvrage propose le texte intégral de la Nouvelle Bible Segond, dont chaque péricope est accompagnée d’un bref commentaire (une à deux pages) au fil du texte.

L’avantage est de pouvoir disposer ainsi d’une explication suivie de l’ensemble du deuxième livre de la Bible, si important pour la constitution de l’identité même d’Israël : le peuple y vit son moment fondateur en étant libéré de l’oppression d’Égypte sous la conduite de Moïse, en recevant de Dieu au mont Sinaï sa charte de vie (le décalogue) et en se laissant petit à petit organiser par le Seigneur (autour de la tente de la rencontre, préfigurant le futur temple de Jérusalem).

L’approche est accessible à un large public et évite tout jargon technique. Elle est le fruit de l’adaptation en français du Kommentar zur Zürcher Bibel, publié sous la direction de Mathias Krieg et Konrad Schmid. Comme l’auteur est sans doute l’un des meilleurs spécialistes de la formation et de l’histoire de la Bible, l’introduction au livre et le commentaire sont marqués par cette visée surtout historico-critique: il y est peu fait recours aux méthodes de lecture littéraire et narrative, et la plupart des difficultés du texte sont expliquées par le biais de la composition par étapes du texte - selon les deux niveaux de la rédaction deutéronomiste, puis sacerdotale. Ce qui fait que la portée existentielle de l’Exode pour les lecteurs d’aujourd’hui passe quelque peu au second plan.

François-Xavier Amherdt

 

Ghislain Lafont
Petit essai sur le temps du pape François
Paris, Cerf 2017, 272 p.

«Il arrive que les papes soient prophètes.» Cette première phrase du livre fait sourire, mais donne fondamentalement le ton de l’ouvrage, à l’instar de celui de ce pontificat. L’auteur souhaite démontrer comment, à partir du terme-clé de miséricorde -devenu emblématique de la vie de l’Église aujourd’hui-, cette ère papale modifie l’approche pastorale, en poursuivant le travail, encore partiel, d’accostage du Concile dans les communautés paroissiales. Nous sommes invités à nous y amariner.

Quatre parties oscillent entre réflexions théologiques et déductions pratiques, au diapason du pape François qui a décortiqué « la miséricorde qui exagère ». Il en a tiré non seulement des leçons mais, après discernement, des conséquences mises en actes: une méthode inductive, donc, qui peut devenir la marque de l’Église contemporaine et de demain. Car si les vents sont contraires parfois, l’Esprit, lui, souffle où il veut… Lecture réconfortante et presque synthétique de quatre ans «bergogliens».

Thierry Schelling

  

Claude Ducarroz, Noël Ruffieux, Shafique Keshavjee
Pour que plus rien ne nous sépare
Trois voix pour l’unité
Bière, Cabedita 2017, 280 p.

Trois amis, 500 ans après la Réforme, ont travaillé ensemble pendant deux ans à l’élaboration de ce livre. L’un est prêtre catholique, l’autre laïc orthodoxe, le troisième pasteur réformé. Ils ont osé aborder de grands thèmes. L’un traitant un sujet, les deux autres donnant leur avis. Leur conviction intime réside dans le fait que, malgré les déchirures du passé, le Christ transforme et consolide les chrétiens.

Voici quelques sujets étudiés: l’Église, la Bible, sa ou ses traditions, les conciles, l’autorité, l’épiscopat, la papauté, l’eucharistie, la réconciliation, la place de Marie et des saints, le mariage et le célibat, la mission et l’évangélisation. Ce sont des textes passionnants, vus sous l’angle de trois personnalités issus de courants différents mais se retrouvant merveilleusement.

Ce livre a été écrit dans l’amitié, sans laquelle il n’y a pas d’unité. Tous trois ont la ferme conviction que le Dieu vivant agit dans leurs Églises, et même au-delà, et que viendra le jour où plus rien ne les séparera. Ils invitent tous les chrétiens à partager leurs convictions, afin que le rêve de Jésus devienne réalité : « plus rien ne nous sépare ». Ce livre peut être un manuel de chevet, à consulter selon le thème qui nous intéresse ce jour-là.

Marie-Luce Dayer

 

Constance Arminjon
Une brève histoire de la pensée politique en Islam contemporain
Préface de Gilles Kepel
Genève, Labor et Fides 2017, 232 p.

Constance Arminjon décrit de manière incisive le fossé qui sépare la conception islamique de l’État de celle de la modernité occidentale. Les auteurs islamiques rappellent que la Charia est révélée par Dieu alors que les Constitutions nationales sont le fait de juristes laïcs.

Rashid al-Ghannushi, un des rédacteurs de la nouvelle Constitution tunisienne, écrit en 1993 qu’en «Occident les libertés et les droits ne sont définis ni par Dieu ni par la nature humaine ni par le droit éternel, mais par des rapports de forces. La modernité occidentale consiste essentiellement dans l’indépendance de l’homme vis-à-vis de Dieu.» Ce qui est l’exact opposé de la foi islamique. Celle-ci repose sur la personne de Mahomet, modèle du croyant, à la fois chef religieux, chef politique, chef militaire, prophète et législateur. Le calife est son successeur, la Charia sa loi. L’Arabie saoudite, le Yémen en dépendent, l’État islamique qui vient de succomber voulait l’étendre; c’est le programme de tous les groupes djihadistes.

Les défaites militaires du XIXe siècle ont poussé plusieurs pays musulmans à adopter les armements et les formes d’organisation des troupes occidentales. Dans l’Empire ottoman d’abord, puis au Proche-Orient et au Maghreb, de jeunes officiers prennent le pouvoir en exaltant le sentiment nationaliste et en s’appuyant sur l’Union soviétique athée. Double rupture avec l’unité de l’Oumma et avec le sentiment religieux, provoquant en retour un réveil fondamentaliste et une opposition encore plus décidée aux idées occidentales.

En Iran, l’ayatollah Khomeiny instaure une République islamique d’inspiration chiite, dominée par les juristes religieux; c’est un gouvernement clérical qui dirige depuis le pays. En Turquie, Erdogan rêve d’une restauration du califat.

C’est vraiment sur le plan des droits fondamentaux que la confrontation se durcit. À Paris, en 1981, une Déclaration islamique universelle des droits de l’homme est présentée à l’UNESCO. Inspirée par un congrès de l’Université Al Azhar, elle repose sur la conviction que les vrais droits de l’homme ont été accordés par Dieu aux hommes il y a 1400 ans. Ils sont permanents, éternels et perpétuels par opposition aux pratiques occidentales.

Les auteurs qui appellent à fonder le droit islamique sur des Constitutions modernes et plaident pour un État de droit auront fort à faire pour renverser ce courant majoritaire et gagner l’adhésion des masses populaires.

Jean-Blaise Fellay sj

  

Académie d’éducation et d’études sociales
Annales 2016-2017. L’engagement dans la cité
Paris, Lethielleux 2017, 262 p.

Ce recueil des huit conférences-débats du semestre d’hiver de l’Académie d’éducation et d’études sociales (AES) offre des présentations contrastées, reflets de facettes diverses de l’engagement civique et social de catholiques français. Car «le christianisme prêche le Ciel mais ne nous désengage pas de la terre»; les chrétiens «sont à la fois intégrés à ce monde et conscients d’un au-delà».

Si les pages sur l’école libre, la difficulté d’être chrétien dans le monde des médias ou le mariage comme engagement à l’égard de la société en vue de la reproduction des générations et de leur éducation peuvent paraître assez convenues, les reflets de l’action dans les banlieues défavorisées, au milieu d’une population en attente d’espoir et de reconnaissance, ou au sein de l’entreprise sont particulièrement signifiants. Comme l’est la « revisite » de l’action historique de Jeanne d’Arc, expression «à la fois d’une inspiration divine et d’un bon sens paysan»: «C’est Jésus-Christ qui est vrai roi de France», disait-elle lors de son procès.

Le récit par Jean-Marie Schmitz de ses onze ans passés à la tête de l’entreprise Lafarge Maroc illustre magnifiquement que «l’homme n’est pas une variable d’ajustement du management dans l’entreprise» et «que la légitimité des dirigeants réside dans leur capacité à servir et non à se servir». Affirmations qui font écho à l’épitre aux Romains commentée en début de recueil, selon laquelle le pouvoir temporel doit être respecté car il «sert à éviter la guerre de tous contre tous» et «est le garant de la paix sociale». Sa responsabilité est de servir en toutes circonstances le bien commun.

Le fil rouge de ces contributions est bien l’affirmation de repères donnant du sens, de réponses à donner à la quête spirituelle propre à tout être humain, d’une existence faite de devoirs à l’égard d’autrui et de la société. Au cœur du tissu social est bien l’engagement, non comme acte utilitaire mais comme exigence de notre nature.

René Longet

  

Marcel A. Boisard
Une si belle illusion
Réécrire la Charte des Nations-Unies
Paris, Panthéon 2018, 466 p.

Ancien sous-secrétaire général des Nations-Unies, Marcel Boisard nous fait entrer dans une réflexion toute en finesse sur la dimension humaine des relations internationales. L’illusion dont il est question dès le titre, c’est celle d’un ordre juridique surplombant les sociétés et les événements historiques, capable d’assurer définitivement la paix entre les nations.

L’auteur passe en revue les «virtualités» qui permettent de penser les relations internationales: le Droit, les États, la souveraineté, l’égalité. Virtualités car il ne s’agit que d’idées régulatrices, qu’il ne faut pas rejeter comme inutiles sous prétexte qu’elles ne s’incarneraient jamais totalement dans l’histoire.

Chemin faisant, Marcel Boisard montre que le multilatéralisme auquel l’Europe est restée longtemps attachée cède peu à peu la place aux accords bilatéraux qui permettent de mieux faire jouer, au profit du plus fort, les avantages comparatifs des uns et des autres. En positif, il montre l’émergence séculaire de l’horizon moral, bien distingué du Droit, sans lesquels les relations internationales ne seraient qu’un vain mot.

La longue expérience de l’auteur lui permet d’incarner ses propos dans des allusions pertinentes aux événements historiques, d’illustrer sa démonstration par l’État-nation. Cet élément central des relations internationales émerge au Moyen Âge occidental, il structure peu à peu l’ensemble des régions du monde, avant d’être rongé tant de l’intérieur que de l’extérieur. L’État-nation demeure cependant la seule base pensable de relations internationales gérables. Loin d’être un manuel un peu sec, l’ouvrage, de lecture agréable, nourrit l’intelligence et la sensibilité du lecteur.

Étienne Perrot sj

 

Sous la direction de
Michel Jacquet
Guy Bedouelle, o.p. Une libre intelligence chrétienne
Châteauneuf-sur-Charente, Frémur éditions 2017, 240 p.

L’ouvrage réunit les contributions d’un colloque organisé en 2014 par l’Université catholique de l’Ouest (Angers) en hommage à son ancien recteur, le Père Guy Bedouelle (1940-2012), dominicain, historien, théologien, humaniste. Cinéphile averti, le Père Bedouelle a collaboré avec une assiduité exemplaire à la revue choisir, dans laquelle il a commenté l’actualité cinématographique de 1973 à 2012, année de son décès.

L’ouvrage est divisé en quatre sections qui recouvrent les principaux domaines de l’activité de Guy Bedouelle: Le chercheur et l’enseignant; La vie dominicaine et ecclésiale; Les responsabilités universitaires; Les intérêts et les entreprises d’un homme de culture. Une annexe contenant sa bibliographie aurait été bienvenue.

Prenant ses distances avec les continuelles remises en question qui agitaient les dominicains français des années 70, Guy Bedouelle, plutôt proche de la revue Communio et du mouvement Communione e liberazione, avait rejoint Fribourg où il se trouvait très à l’aise. Professeur extraordinaire à Fribourg puis titulaire de la chaire d’histoire de l’Église (1977-2007) et doyen de la Faculté de théologie (1994-1996), enfin recteur de l’Université catholique de l’Ouest (Angers), il a incarné la liberté d’une intelligence chrétienne.

Guy Bedouelle était d’abord un spécialiste du XVIe siècle, avec une thèse remarquée sur Lefèvre d’Etaples et sa pratique de l’exégèse. L’histoire de son Ordre l’a aussi passionné. Sans être un médiéviste, mais motivé par ses propres racines religieuses, il lui a consacré une bonne part de son travail universitaire, publiant entre autres une biographie de saint Dominique et des études sur l’histoire de l’Ordre. Parce que les périodes de transformations et de bouleversements l’intéressaient particulièrement, le temps des humanistes à la veille de la Réforme et celui du renouveau de l’Église après la Révolution française de 1789 ont retenu son attention. Erasme, l’Inquisition et ses mythes, Lacordaire, dont il édite l’immense et insaisissable correspondance, sont autant de figures emblématiques auxquelles il a consacré des études, à l’écart des polémiques, mais toujours en recherche de sens. Au bénéfice d’un doctorat en droit et d’une thèse sur L’Église d’Angleterre et la société contemporaine, préoccupé par la réconciliation entre l’Église et le monde moderne, il a consacré, avec son ami Jean-Paul Costa, une étude à la question de la laïcité en France.

Vrai humaniste, Guy Bedouelle était passionné de littérature et de cinéma. Indispensable nourriture, la littérature, française, italienne, anglaise, américaine ou russe, les romans surtout, l’aidaient à comprendre le passé et le présent. Le cinéma, dont il était un expert reconnu, stimulait son imagination, révélant les images enfouies, qui viendront illustrer ses cours en faculté, à la grande joie de ses auditeurs. Il ne faudrait pas oublier son goût pour les voyages à la découverte du monde, ni la fréquentation assidue et recueillie des musées et des expositions.

Travailleur acharné, indépendant, toujours modéré et à l’écart de toute idéologie, jamais enfermé dans un académisme stérile, aimable et distingué, Guy Bedouelle a été un homme libre, un vrai humaniste. Les quatre termes au moyen desquels il définit la nature de son Ordre esquissent son propre portrait : vérité, amitié, liberté, fraternité. Le lecteur des actes du Colloque, ce bel hommage très justifié, n’aura pas de peine à s’en convaincre.

Pierre Emonet sj

 

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