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jeudi, 09 août 2018 09:14

Peut-on encore aimer le foot?

redeckerDans le titre de cet intéressant ouvrage du philosophe français Robert Redecker, le mot important est «encore». Dénonçant à raison les dérives de l’univers du football contemporain et son omniprésence médiatique jusqu’à la nausée (le business et le mercato, le star système et la ritualisation du culte théâtralisé, la violence et la politisation), l’auteur le présente comme la saga impudique de la réalité moderne.

Ce faisant, ne se trompe-t-il pas de cible? Une lecture critique de l’abbé François-Xavier Amherdt, professeur de théologie à l’Université de Fribourg et arbitre de football, en marge de notre dossier sur le sport paru dans notre dernier numéro.

Robert Redecker
Peut-on encore aimer le football ?
Essai
Monaco, Du Rocher 2018, 254 p.

«Divinisé, ayant fusionné avec le Capital, le football est la fable du monde» (p. 12). Prolongeant une émission d’Alain Finkielkraut, Répliques, diffusée le 8 septembre 2017 sur France-Culture, le livre en reprend le titre même et propose d’interpréter le récit du foot d’un point de vue sociologique, anthropologique et métaphysique. Mais la charge est massive et unilatérale: parodie de religion, d’idéal et de fraternité, le football exalterait le «présentisme» de l’anecdotique privé d’histoire et serait «le théâtre vrai de la cruauté à destination des foules» (p. 248).

C’est la thèse même de R. Redecker qui me paraît erronée. Certes, le football, comme le sport de haut niveau, a tous les défauts que peut repérer un intellectuel, parce qu’il exalte les valeurs de la compétitivité et de la productivité et qu’il abuse les masses. Mais il n’est pas la «matrice» sociale de ces abus, comme le prétend l’auteur. Il n’en est que le reflet (pp. 70-71). Ce n’est pas le football qui engendre l’ère du vide où se perd l’homme contemporain, ainsi que l’affirme le philosophe; ce n’est pas lui qui provoque les déséquilibres financiers, les excès de pouvoir politique ou les guerres qui font couler le sang -l’auteur s’appesantit sur le drame du Heysel du 29 mai 1985 (p. 244).

C’est donner au football un pouvoir démesuré qu’il ne possède pas. Il n’est ni pire ni meilleur que la réalité dans laquelle nous sommes immergés. Il ne la façonne pas, il la reflète. En outre le penseur omet totalement, il me semble, les réelles valeurs d’esprit d’équipe, d’abnégation, de patriotisme, et les qualités artistiques d’innovation dont ont fait preuve, par exemple, de nombreuses «petites» nations au Mondial 2018 (la Belgique ou la Croatie notamment).

Ce n’est pas la Coupe du monde en Russie qui fait le dictateur Poutine (parmi d’autres), l’invasion de la Crimée, le manque de respect des droits de l’homme et de la presse (en Russie, en Turquie comme en beaucoup de pays), le terrorisme islamique, la guerre israélo-palestinienne (et tant d’autres), la sécheresse et le manque d’eau, etc. Les vraies causes de ces maux se situent ailleurs.

Chacune des affirmations massives du livre, écrit «à la Finkielkraut», mériterait d’être nuancée, malgré la lucidité de l’auteur. Par exemple, chaque Mondial s’inscrit dans l’histoire du football et écrit une aventure totalement inédite. Nous venons de le voir en été 2018. À force de noircir le trait, l’ouvrage tombe dans la caricature et l’excès.

 

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