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vendredi, 15 juin 2018 11:19

Dictionnaire historique de la théologie de la libération

Collectif LiberationMaurice Cheza, Luis Martínez Saavedra et Pierre Sauvage (dir.)
Dictionnaire historique de la théologie de la libération
Namur, Lessius 2017, 656 p.

La théologie de la libération (TdL) semblait s’être depuis longtemps étiolée, mais cet ouvrage la remet sous les projecteurs et montre que son évolution est toujours en cours. Développée à ses débuts, dans les années 1970, par le prêtre et théologien péruvien Gustavo Gutiérrez, à qui l’on attribue la paternité de cette approche élaborée au contact des plus pauvres et avec leur participation, la TdL s’est entretemps largement diversifiée.

Une bonne centaine de spécialistes, de vingt-huit nationalités, ont collaboré à l’élaboration de ce Dictionnaire qui comporte près de trois cents entrées ouvrant sur les thèmes phares, les pays et les personnes qui ont théorisé la TdL ou qui s’en sont inspirés et l’ont mise en pratique. Pour les auteurs, la TdL est une des rares théologies qui a toujours voulu agir sur l’histoire des peuples. On découvre au fil des pages qu’elle aborde depuis des décennies des problématiques longtemps laissées dans l’ombre: l’émancipation de la femme, celle des populations noires et indigènes, ou bien encore la question de la sauvegarde de la Création, à savoir l’écologie.

Avec le Père Gustavo Gutiérrez, reçu dans l’Ordre dominicain en 2004, le franciscain brésilien Leonardo Boff est considéré comme l’un des représentants les plus marquants de la théologie de la libération latino-américaine. Mais l’ouvrage permet de découvrir de nombreux autres protagonistes, moins connus sous nos latitudes, issus de contextes socio-culturels diversifiés. Le lecteur sera peut-être surpris de trouver des entrées sur l’Amérique du Nord (Canada et États-Unis) et l’Europe (Belgique, Espagne, France, Suisse). En fait, ces pays ont formé en Amérique latine un grand nombre de théologiens et d’acteurs pastoraux proches de la TdL. Beaucoup de formateurs du Nord se sont rendus dans les pays du Sud, surtout en Amérique latine ; certains y sont restés, notamment en tant que prêtres Fidei Donum. Ceux qui sont rentrés chez eux se sont inspirés de ce qu’ils avaient découvert, tentant de former en Europe ou en Amérique du Nord des communautés ecclésiales de base (CEB) ou des groupes du même style.

La présence du pape François sur le siège de Pierre a fait souffler un vent nouveau dans l’Église. Le pontife argentin s’est voulu d’emblée pasteur parmi les pasteurs «pénétrés de l’odeur de leurs brebis». Il a incité les prêtres, dès sa première messe chrismale, à se mettre au service des pauvres et des opprimés. Depuis un certain temps du reste, la TdL ne suscite plus la même défiance romaine, et la nouvelle génération de théologiens défriche de nouveaux champs de réflexion et d’action.

Il est loin le temps de l’instruction Sur quelques aspects de la théologie de la libération, rédigée en 1984 par le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi! Le futur pape Benoît XVI dénonçait «des courants de pensée qui, sous le nom de ‹théologie de la libération›, proposent du contenu de la foi et de l’existence chrétienne une interprétation novatrice qui s’écarte gravement de la foi de l’Église, bien plus, qui en constitue la négation pratique». Des propos qui furent très bien accueillis et surtout utilisés par les puissants tenants du statu quo, tant dans les pays du Nord que dans ceux du Sud. Pour le Vatican, il s’agissait de mettre en garde contre les déviations dues à l’introduction dans la lecture de la réalité sociale d’éléments du marxisme. Il critiquait aussi des lectures ‹rationalisantes› de la Bible tendant à réduire l’histoire du Christ à celle d’un libérateur social et politique.

Le même cardinal Ratzinger allait, en 1986, publier une nouvelle instruction Sur la liberté chrétienne et la libération, qui, bien que n’annulant pas la première, la complétait et la nuançait. Rome y relisait la TdL de manière positive, en y introduisant la dimension spirituelle d’une théologie de la liberté. L’intervention de certaines figures de proue de l’épiscopat brésilien d’alors, soutenant les protagonistes les plus en vue de la TdL, n’était pas restée sans effet... La même année, Jean Paul II dira, dans une lettre adressée à l’épiscopat brésilien, que «la théologie de la libération est non seulement opportune, mais utile et nécessaire».

Cet ouvrage est destiné à ceux qui sont passionnés par la théologie, à ceux qui s’intéressent à l’histoire des idées et à celle des femmes et des hommes engagés dans la transformation d’une société foncièrement injuste, parfois au péril de leur vie. Le grand public dispose ici d’un instrument pratique pour accéder aux éléments essentiels de la TdL, qui s’est beaucoup diversifiée et affinée dans un contexte en perpétuel changement. L’ouvrage met en avant ces générations montantes qui travaillent à de nouvelles problématiques et qui bénéficient désormais d’une certaine reconnaissance de la part du Vatican.

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