Avant et après la Deuxième Guerre mondiale, les nouveaux États (Syrie et Irak) ont été érigés par des dirigeants qui ont réduit la mosaïque de leurs peuples à la seule composante arabe musulmane, en ignorant sciemment les autres (arabe chrétienne, yézidi, kurde, druze, etc.) qui ne rentraient pas dans leur construction idéologique. Ce fut le cas des nationalismes arabes dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis, après leur échec, la continuation de cette même position par la composante islamiste, qui aboutit sous nos yeux à cette catastrophe à l’intérieur du monde arabe.
L’auteur rappelle la première Constitution de l’État irakien, qui fut un essai, mais sans lendemain, d’introduire les minorités. Le débat actuel autour de la nouvelle Constitution irakienne montre que le problème demeure. Par contre, l’idéologie du parti Baas (irakien et syrien) est marquée exclusivement par la référence à l’arabisme et à l’islam et n’accorde aucune réalité aux autres groupes. L’auteur cite à cet égard le discours du fondateur du parti, Michel Aflaq (dont on dit qu’il était chrétien), le 5 avril 1943 à Damas, qui nie l’existence même des autres groupes.
Pour Joseph Yacoub, cette négation de la diversité culturelle aboutit à la marginalisation des chrétiens et d’autres minorités, et à leur calvaire. L’auteur dresse, grâce à une information souvent de première main et à des voyages récents, la carte de l’élimination des populations chrétiennes assyriennes dans le nord de l’Irak et au nord-est de la Syrie, près du fleuve Khabour, entre le Tigre et l’Euphrate.
Le nationalisme arabe et l’islamisme, qui ignorent l’histoire préislamique, conduisent à cette impasse. C’est pourquoi l’auteur fait émerger la mémoire enterrée de ces peuples qui plonge dans un passé très ancien. C’est en redécouvrant leur identité et en se la réappropriant que ces populations survivront. Les divisions à l’intérieur des Églises chrétiennes issues de ces régions masquent trop souvent leur identité commune. La langue souvent les relie. Et les découvertes archéologiques, à partir du XIXe siècle, ainsi que la relecture des sources grecques, latines, byzantines permettent de situer la continuité de l’histoire des «Assyro-Chaldéens», depuis les époques bibliques qui les rattachent à une terre ancienne, la Mésopotamie. Certains épisodes guerriers sont d’ailleurs rapportés par les prophètes bibliques.
Dans une deuxième partie, Joseph Yacoub retrace brièvement l’histoire des chrétientés de l’Iran et du Kirghizstan en Asie centrale. Et la troisième partie analyse plus en profondeur les tenants et aboutissants de la diversité culturelle qui serait une véritable alternative à l’impasse actuelle du monde arabe, «empêtré dans le communautarisme, éloigné d’une citoyenneté réelle à base égalitaire, qui respecte la diversité».
Les analyses de l’auteur, novatrices, même si elles sont très éloignées des développements politiques actuels, en particulier en Irak et en Syrie, méritent qu’on s’y arrête et peuvent être un socle pour bâtir l’avenir des États. Bref, un livre à lire attentivement. On regrettera l’absence d’index des personnes et des lieux.