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mardi, 14 mai 2019 09:06

Homs, l'espérance obstinée

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HomsZiad Hillal ©jesuites.comZiad Hillal, jésuite syrien, livre un témoignage exceptionnel sur les trois années de guerre civile qui ont ensanglanté la ville de Homs entre 2011 et juin 2014. Troisième plus grande ville de Syrie, comptant environ 750'000 habitants, située à mi-chemin entre Damas et Alep, Homs a connu dès avril 2011 des manifestations de plus en plus violentes contre le gouvernement de Bashar al-Assad. Elles se sont transformées dès l'année suivante en insurrection générale.

L'auteur, gardant toujours une parfaite impartialité, raconte au fil des mois, les conflits, les destructions, les drames qui ont transformé la ville en un grand champ de bataille où le mur de la haine entre communautés est devenu infranchissable et où la population a subi les épreuves de la fuite, de la faim et des privations. Il a présenté le 10 mai dernier son livre à Genève, à la librairie arabe L'Olivier.

Ziad Hillal, avec François-Xavier Maigre
Homs, l'espérance obstinée
Paris, Bayard 2019, 302 p.

La mission des jésuites dans la vieille ville de Homs qui est très ancienne va permettre d'organiser avec d'autres (orthodoxes et musulmans) une importante aide matérielle. Au moins 1200 personnes sont soutenues autour du centre Saint-Sauveur. Ziad Hillal sj en est un des principaux organisateurs. Il se préoccupe de l'éducation des enfants, «devenus experts dans l'art d'esquiver la mort et qui ont intégré les mécanismes de la guerre», en essayant de les protéger raisonnablement de leur propre entourage et parfois des haines entre parents. La collaboration avec un prêtre orthodoxe a permis à 1500 élèves chrétiens et musulmans de reprendre les cours, et d'autres initiatives de ce genre.

Ziad Hallal rapporte en particulier le rôle capital joué par le Père Frans van der Lugt sj, défenseur des pauvres, dont l’œuvre auprès des handicapés dans les environs de Homs était reconnue et dont le rayonnement auprès des jeunes dépassait depuis longtemps les limites de la ville. La figure exceptionnelle du jésuite néerlandais, dont la Syrie était devenue la deuxième patrie, avec son équilibre fondé sur une pratique de la psychanalyse, sa sagesse, son conseil, sa passion et son refus de quitter la ville, traverse ces années terribles, jusqu'à son assassinat dans la résidence des jésuites le 7 avril 2014 dans des circonstances qui ne sont pas complètement élucidées. Lors des funérailles, écourtées à cause d'une menace d'attentat à quelques centaines de mètres, le supérieur des jésuites de Syrie déclara: «Si l'assassin de Frans avait planté ses yeux droit dans les siens, il aurait renoncé à tirer car il aurait été empli de son amour et de son amitié». Ziad Hillal relève aussi la déclaration du gouverneur de la ville présent aux obsèques: «Le Père Frans n'est pas seulement le martyr des chrétiens, mais celui de toute la ville de Homs et de la Syrie, de tous les Syriens chrétiens et musulmans.»

Après sa mort, Ziad a pu retrouver et rendre à leur propriétaire des documents extrêmement précieux concernant une grande figure de l'Islam, Khalid ibn al-Walid, compagnon de Mahomet mort en 642 à Homs, qui avaient été confiés au Père Frans par les autorités de la mosquée.

L'auteur rapporte aussi en détail l'évacuation en février 2014 des civils assiégés dans la vieille ville, décidée après d'âpres négociations onusiennes appelées Genève 2, et dont il a été un des protagonistes avec d'autres responsables d’Églises européennes et du Moyen Orient. Puis, tout aussi délicate, l'évacuation en mai des rebelles, la majorité issus de l'intérieur de la ville, sous l'égide des Nations Unies et le transfert des combattants au nord de la ville. Ziad Hillal a participé activement, avec d'autres prêtres, à l'opération qui concernait au total presque 2000 combattants, vaincus par la faim, sans compter les enfants, les femmes et les personne âgées pris en charge par les véhicules du Croissant rouge. «Jamais je n'ai vu une telle misère», écrit-il. Il relève aussi dans ces circonstances l'attitude empreinte de beaucoup de maîtrise et de précision du gouverneur de la ville. Viendront s'ajouter encore d'autres épisodes tragiques, notamment des sépultures de proches de la communauté jusqu'en juin 2014.

Quand les épreuves divisent ou réunissent

Tout au long du récit surgit cette question, sans réponse: «Comment est-il possible de voir se répandre l'esprit de vengeance au sein de notre peuple? Des Syriens massacrant d'autre Syriens: c'est le visage désolant de ce conflit.» Le jésuite côtoie les pires drame et atrocités, et en même temps il voit apparaître la bonté et l'humanité qui s'incarne souvent chez les gens les plus simples, parfois connus et proches, parfois inconnus. Il salue ainsi «l'héroïsme des Syriens, en particulier des religieux et des religieuses qui ont surmonté des épreuves inimaginables...  il me semble que le conflit a modifié notre cœur. La souffrance et l'odeur du sang nous ont poussé à nous unir… la guerre a libéré nos Églises d'Orient, qui pouvaient sembler repliées sur elles-mêmes, pour ne former qu'une même Église. Pour les autres et avec les autres.» conclut-il.

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